dimanche 8 avril 2012

Chapitre 6

                                        Chapitre 6: L'affaire s'épaissit



         Lorsqu’Aaron parvint jusqu’au lycée le lendemain matin, la première chose qu’il vit fut la présence d’un nombre impressionnant de véhicules de police qui encerclant le bâtiment de leur corps métalliques : une vingtaine de voitures de fonction dont  les gyrophares peignaient  la devanture de l’école d’un éclat écarlate, comme pour immortaliser  la tragédie qui s’était produite la veille. Aaron s’en réjouissait, car si l’établissement était aussi bien encadré par les forces de police, il y avait de fortes chances qu’il en était de même pour l’assassin.

Le jeune détective se mit aussi tôt à repérer la présence de Flynn parmi les milliers d’uniformes bleus qui tourbillonnaient dans toutes les directions et tous les angles possibles mêlés à une foule de curieux qui grossissaient comme une fourmilière. Bien entendu, c’était impossible. Il allait donc devoir poursuivre seul.

Mais en s’approchant de plus en plus de l’entrée du bâtiment, l’étudiant pris soudain conscience d’un inconvénient majeur dont il n’avait pourtant pas songé : comment allait-il pouvoir pénétrer à l’intérieur des lieux maintenant que la police contrôlait les entrées et sorties ? Il n’allait surtout pas laisser le passage à un gamin de son âge. Leur dire qu’il s’agissait de son lycée ? Non, aucune chance puisque les cours étaient annulés jusqu’à nouvel ordre.

-         Stop ! Entrée interdite à toute personne étrangère à l’enquête, jeune homme, s’opposa un des policiers qui gardaient l’entrée.

Ah ! Voilà une excuse.

-         Bien entendu, Mr le Policier. Mais il se trouve que je suis un témoin déterminant de l’affaire et que l’inspecteur en charge du dossier m’avait averti de ce genre de contretemps que je risquais de rencontrer en venant sur les lieux.

-         Pourquoi ne m’a-t-on rien dit ? interrogea le policier frustré.

-         Ecoutez, je n’en ai aucune idée. Mais j’imagine que la meilleure chose à faire est de me libérer le passage sans quoi il risque d’y avoir des retombées si vous vous opposez aux décisions prises par votre  supérieur hiérarchique. Je me trompe ?

Le policier chercha le soutien de ses collègues mais ces derniers le regardèrent avec une  insistance évocatrice. Le policier se sentit mis à nu par la vingtaine de paires d’yeux qui le cuisinait du regard si bien qu’il fit signe à Aaron de passer, profondément indigné.

A peine le grillage d’entrée passé, son attention se porta sur  un homme d’âge mûr qui se tenait comme un piquet au milieu de la cour. Il était accompagné d’une jeune fille qu’il reconnut immédiatement. Et elle aussi du le reconnaitre puisqu’elle interpella  l’homme qui l’accompagnait en pointant du doigt le jeune détective. L’homme se retourna et en quelques enjambées parvint à sa hauteur.

Aaron fut surpris de constater qu’il était une de ces personnes gigantesques que l’on s’étonne toujours de rencontrer au quotidien, un peu plus d’1,90m, large d’épaule, et même si sa stature était impressionnante, son visage l’était encore bien davantage. La mâchoire carrée, un nez ressemblant fortement à un  bec d’aigle et des yeux d’une extrême noirceur que l’on comparerait aisément à deux morceaux de ciel nocturne lui peignaient un profil fort angoissant. Les traits de son visage étaient dur, sévères et témoignaient la pratique d’une profession exténuante qui sollicitait bien des nerfs d’acier. Tout dans le personnage dégageait une espèce de volonté inébranlable qui s’était forgé avec le temps si bien qu’il devait être le genre de personne à laquelle rien ne semblait échapper et dont respect et obéissance étaient les maitres mots. Aaron soupçonnait d’avoir à faire au responsable de l’enquête lui-même. C’est d’une voix grave qui dissimulait mal sa colère que l’homme interpella le jeune détective.

-         Répondez-vous au nom d’Aaron Law, jeune homme ?

-         Oui, c’est bien moi en effet, répondit l’étudiant surpris par cette entrée en matière si brutale.

-         Je suis l’inspecteur Hugh Dowper et voici ma fille Sepia. J’ai appris que vous étiez la deuxième personne à interagir sur les lieux du premier crime, vous confirmez ?

-         On vous a bien informé, inspecteur, confirma Aaron. J’ai pu effectivement pénétrer sur le lieu du crime et…Mais attendez.

Aaron fronça les sourcils.

-         Qu’y a-t-il ? interrogea l’inspecteur.

-         La façon dont vous m’exposez la situation, « le premier crime », vous voulez dire qu’il y en a un deuxième ?!

Miséricorde. Cette information devait demeurer méconnue du grand public d’autant plus que cela tenait davantage au miracle que la nouvelle d’un second drame n’ait pas filtré au sein des médias. Dowper s’en voulut énormément de son incompétence. L’inspecteur et le jeune détective demeurèrent silencieux pendant un long moment sous le regard impatient de Sepia Dowper dont la présence même semblait s’effacer de leur esprit.

-         Eh bien Papa, dis-le lui ou alors c’est moi qui m’en charge, s’enquit la jeune fille tapant du pied.

Le père soupira. Il commençait déjà à regretter d’avoir céder aux caprices de sa fille pour l’accompagner sous prétexte que, si elle voulait un jour devenir enquêtrice scientifique, elle devait acquérir de l’expérience. Il allait devoir se montrer plus ferme vis-à-vis de sa fille, ne serait-ce que pour préserver son image au sein de la Commission d’enquête.

-         En temps normal, je ne peux divulguer les éléments de l’enquête à toute personne qui s’avèrerait être sans lien direct avec elle, mais puisque tu constitues en soi un élément direct et fiable dans sa résolution, j’imagine qu’il m’est possible de faire une petite exception.

Alors écoute-moi bien car je ne le répèterai certainement pas une deuxième fois. J’imagine qu’il est déjà assez difficile de le réaliser. Il se trouve que Jayne Filler, la petite amie de la victime, a été retrouvée empoisonnée chez elle aux alentours de 20h15. Deux victimes le même jour, en l’intervalle de seulement quelques heures et l’assassin toujours en liberté.

-         Qu’est-ce que vous dites ? s’exclama Aaron abasourdi par la nouvelle.

-         Gamin, il me semble pourtant t’avoir averti que je ne prononcerai ces mots qu’une seule fois.

Impossible. Cela dépassait largement tout ce dont pouvait imaginer le jeune détective. Aaron fut visiblement pris de court, lui qui semblait si sûr de lui il y encore seulement quelque temps. D’abord une chambre close et puis ensuite, en considérant qu’il s’agisse du même auteur, un double meurtre : il y avait de quoi être saisi d’horreur.

-         Avez-vous un suspect ?

-         Oui, enfin ce n’est plus vrai dès lors que l’infortunée Jayne Filler a trouvé la mort. On la considérait comme notre seule suspecte et voilà qu’elle s’échappe du monde des vivants.

-         Vous pensez au suicide ? tenta Aaron  d’un air suspicieux.

-         « C’est peu probable, jeune homme. Je suppose que je vous dois bien un rapport détaillé de l’avancé de l’enquête pour clarifier aux maximum  les faits. Je vais donc tenté d’être bref sans omettre le plus fin des détails. D’après un examen approfondi, Marty Faint, la première victime, a trouvé la mort en recevant la charge meurtrière de son assassin en plein cœur. Rapide, net et précis. On suppose que les évènements sont survenus entre 10h 15 et 11h15 tandis que la victime n’avait pas cours de toute la matinée. D’après ses camarades présents ce jour-là, il avait demandé les clefs de la salle 238, leur salle de classe principale, auprès du délégué de classe qui n’était autre que sa petite amie elle-même, afin de pouvoir trouver le calme pour ne pas perturber ses révisions d’examens de fin d’année.

Seulement, durant le peu de temps qui précédait la tragédie, certains élèves ont surpris Marty Faint et Jayne Filler se quereller, ce qui était assez rare comme diraient certains, mais ils ne pourraient nous informer de la raison de leur dispute. La plupart confirment que leur entrevue a pris fin lorsque Jayne lui a remis les clefs en main propre. La suite vous la connaissez. Enfin j’entends, tout ce dont vous avez pu voir sur la scène de crime, mais ce que je vais vous révéler est vraiment tout ce qu’il y a de plus ahurissant.

Entre nous soit dit, j’ai interrogé Hiro Keisuke, un des témoins. Apparemment, vous avez pu déduire assez d’éléments convaincants et d’une remarquable habileté. Je ne saurais expliquer d’où vous vient cet étonnant talent, mais sachez seulement que la police ne fera pas la sourde oreille à vos remarques, gamin, j’y veillerai personnellement. »

«  Quoi qu’il en soit, comme vous l’avez fait remarquer, le crime perpétré à l’encontre de Marty Faint est un authentique cas de meurtre en chambre close dont nous n’avons encore aujourd’hui aucun élément nouveau permettant de nous éclairer sur le procédé utilisé par son assassin. En tout cas, nous pensons que le mystérieux message, qui malheureusement n’a pas été écrit à la main mais bien à la machine, sans quoi nous aurions pu en faire un examen graphologique, ce message donc, nous pensons qu’il constitue la clef de tous ces meurtres. Encore faut-il en comprendre la signification. Mais nos équipes sont déjà penchées sur le problème. 

Bien. A présent, ce que je vais vous révéler vas certainement vous stupéfier, Law. Figurez-vous que le téléphone portable, qui était dans un premier temps sur le sur le lieu du premier crime, comporte des traces de cyanure de potassium sur certaines touches. Or, il se trouve que Jayne Filler a fait l’objet d’un empoisonnement au cyanure le jour même, et, comme on me l’a informé, celle-ci a récupéré son téléphone sur les lieux. Il est donc indéniable que ce téléphone constitue l’arme du crime de la malheureuse. Mais tout le mystère réside là, nous n’avons trouvé aucune trace de cyanure en dehors de celles trouvées sur le portable, et ce même en vérifiant les mains de Marty Faint. Pourtant, si celui-ci a emprunté le téléphone auprès de sa petite amie, il est tout naturel de penser qu’il s’en est servi, sinon à quoi bon ? Alors pourquoi, n’a-t-on trouvé aucune trace de poison sur Faint ? Et puis, on ne sait pas si ça a sa place dans cette affaire, mais un numéro inconnu est affiché en mémoire à l’heure précise de 10h33, donc au moment où la victime se trouvait très probablement dans la salle. Mais le mystère ne prend pas fin pour autant. Non au contraire, il s’épaissit davantage par le biais d’un détail encore plus troublant. »

L’inspecteur interrompit son récit, désireux, en tout bon conteur, de tenir en haleine son interlocuteur. Visiblement, l’effet fut réussi car Aaron bouillonnaient d’impatience et ne semblait guère apprécier le suspens opéré par le chef de la police.

-         Quel détail ? interrogea l’étudiant dévoré par une folle envie de secouer le représentant de la loi.

S’il n’y avait pas sa fille à ses côtés, il aurait sans doute déjà fait.

-         Nous savons à qui appartiennent les empreintes présentes sur le couteau utilisé pour poignarder Faint, répondit posément le policier.

-         Il y avait des empreintes ? Je croyais que l’assassin portait des gants ? A qui appartenaient-elles ? s’enquit le jeune détective.

-         A un certain Robert  Mayson.

-         Nous avons donc un suspect ! s’exclama l’adolescent avec un large sourire.

L’inspecteur secoua la tête.

-         Il s’est éteint il y a 7 ans de cela déjà. D’après l’enquête officielle, il s’est suicidé par la corde, au sein même de cet établissement. Ce lycée est vraiment le lieu le plus maudit qu’il m’est jamais été donné de rencontrer. Mais sachez qu’il n’est pas dans ma nature de croire aux histoires de fantôme, Law.





*



-         Nous y voilà inspecteur. L’ensemble du corps enseignant est réuni dans la salle d’études. Ils n’attendent plus que vous. »



-         Très bien, j’arrive. Empressez-vous de les rejoindre.

Aaron tenait plus que tout à accompagner l’inspecteur Dowper et sa fille pour les interrogatoires et à son grand étonnement, ce dernier n’y avait  formulé aucune objection. C’était la seule manière d’obtenir de nouveaux indices et donc de pouvoir avancer dans son enquête. Quel excitation tout de même tous ces mystères qui s’imbriquaient et s’emmêlaient dans cette affaire !

Lorsqu’ils furent au pied de la porte de ladite salle, Aaron ne put s’empêcher de frémir à l’idée que l’assassin se trouvait forcément à l’intérieur.

L’inspecteur franchi  le seuil et les deux adolescents lui emboitèrent discrètement le pas. Aussitôt, des flashs de regards les dévisagèrent comme s’ils n’avaient rien d’humain. La plupart  des enseignants n’étaient guère enchantés d’être retenu entre quatre murs de la sorte, comme des criminels ou pire des animaux. Mais l’inspecteur Dowper avait pris l’habitude, avec le temps et l’expérience, de ce sentiment et resta de marbre aux effusions de plaintes qui balayaient la salle.

«  Bien le bonjour à vous tous, commença l’inspecteur, je vous remercie d’avance pour votre aimable coopération. Mais ne nous engageons pas dans le méandre des mirages : vous allez tous, tout à tour, nous exposer ce que vous faisiez dans la journée d’hier. Mais entendons-nous bien, en aucun cas il ne vous sera porté préjudice si vous n’avez de près ou de loin été lié à cette affaire, d’autant plus que, avouons-le, aucun d’entre vous ne fait l’objet de suspicion. J’aimerais préserver ce climat d’entente au plus long terme, ne serait-ce que pour garantir un certain équilibre dans nos investigations.

Dans ces conditions, il va être tout à fait légitime de penser que seul l’assassin sera étranger à cet environnement car c’est bien sur lui-même qui en est l’auteur. Il a parsemé autant de preuves et de traces qu’un jardinier disposerai de ses fleurs et a semé la mort tel qu’on cultive les graines qui s’enracinent au sol. Messieurs dames, nous voici ancrés dans le décor que l’assassin s’est empressé de planter. A nous de retrouver ce qui s’y passait en premier plan…sur la scène. Considérons-nous comme de simples techniciens car il s’agit bien là de mener le diable sous les feux des projecteurs. »

Aussitôt les enseignants avertis, il y eut quelques murmurent qui flottèrent dans la salle mais ces derniers furent rapidement réduit au silence lorsque l’inspecteur se planta devant la personne à sa gauche, d’un air imperturbable.

C’était un homme d’une trentaine d’années qui semblait se morfondre contre le dossier de sa chaise comme s’il s’agissait d’un fauteuil. Ses yeux noirs semblables à ceux d’un ours en peluche qui s’enfonçaient derrière ses grandes lunettes en verres épais dévoraient jalousement l’attention de tous ceux qui les croisaient, si bien que beaucoup de traits pouvaient facilement se soustraire aux regards les moins aguerris. Pourtant, un œil neuf aurait été immédiatement frappé par ces oreilles incroyablement petites dont la forme rappelait drôlement celle d’un bretzel, de ce front immense et frustré qui donnait l’illusion qu’il gagnait en hauteur, de ces cheveux en bataille ainsi que cette barbe très dense qui témoignaient cruellement d’un manque d’attention et de soin ou encore ces lèvres compressées nerveusement l’une contre l’autre jusqu’au sang. Ses mains blanchies par la craie ne cessaient de se tortiller frénétiquement l’une contre l’autre et la pression exercée sur les os de ses phalanges provoquait un son écœurant qui vous collait à l’oreille comme une puce. Visiblement, ses muscles refusaient de lui obéir au profit des conquêtes (expansion) d’une nervosité dévorante (impitoyable) qui s’attaquait sans relâche à son système cérébral impuissant. Voilà un homme capable de redéfinir l’expression «  être mal dans sa peau » !

-         Monsieur, s’engagea-t-il, puis-je avoir votre nom ?

-         Certainement, lui répondit son interlocuteur d’un ton désinvolte. Je me nomme Arnold. Arnold Schaeffer.

-         Quelle matière enseignez-vous ?

-         Je suis professeur de physique-chimie.

-         Etes-vous le seul enseignant à instruire cette matière ?

-         Oui.

-         Bien. Comme vous vous le doutiez certainement, je vais vous demander de m’éclairer sur ce que vous faisiez dans la journée d’hier, ou plutôt dans la matinée entre 10h15 et 11h15.

Le professeur réajusta ses lunettes sur le dos (l’arcade) de son nez à l’aide d’un index tremblotant et poussa un long soupir d’approbation.

-         Très bien. Je sortais tout juste de cours avec la classe de 1ère à 10h00 pile. Immédiatement après la sonnerie, je me suis rendu dans la salle des professeurs afin de faire des photocopie d’un cours en polycopié pour la classe de terminale que j’allais prendre à 10h05. Entre 10h05 et 10h30, je n’étais nulle part d’autre qu’en salle de classe avec les Terminales.

-         Vous aviez fait un cours de seulement une demi-heure avec la classe de Terminale ? s’étonna Dowper.

-         C’était un cours de travaux pratique qui ne demandait que la moitié de l’heure, se justifia le physicien.

-         Est-ce la première fois qu’il vous arrivait de faire un cours de si petite durée ?

-         Non. J’en fais au moins un toutes les semaines soit le jeudi soit un vendredi. En l’occurrence hier nous étions vendredi.

-         La sonnerie sonne-t-elle toujours 5 minutes avant et après chaque heure de la journée ?

-         Oui. A l’heure pile, les cours prennent fin puis ils reprennent 5 minutes plus tard. Il y a donc 5 minutes d’interclasse.

-         Y avait-il quelqu’un dans la salle des professeurs au moment où vous y êtes allé ?

-         Non, il n’y avait personne.

-         Donc personne pour confirmer votre présence à ce moment-là.

-         En effet, admit Schaeffer d’un air méfiant.

-         Parmi cette classe de première dont vous étiez à charge jusqu’à 10h00, Marty Faint en faisait-il partie ?

-         Oui. Il était bien présent.

-         Etait-il dans son état normal ?

-         Que voulez-vous dire ?

-         Eh bien, paraissait-il nerveux ou angoissé ? interrogea l’inspecteur exaspéré.

-         Non pas à ma connaissance. En fait, il paraissait plutôt de bonne humeur et était surexcité au point que j’avais de la peine à le calmer. Je voyais bien qu’il ne tenait pas en place. Bien sûr c’est tout à son naturel d’agir ainsi, après tout tous ces messieurs dames vous le confirmeront, dit-il en désignant du regard ses collègues, c’est le caractère que nous lui connaissons mais je dois avouer qu’il était étrangement excessif dans son comportement.

-         Vous ne saurez nous dire la raison de son excitation ?

-         Malheureusement non.

-         Comment a-t-il réagi à votre rappel à l’ordre ?

Soudainement, le visage du professeur se fit (se voulait) plus dur et ses yeux noirs perçaient à travers ses lunettes l’imposante silhouette de l’inspecteur.

« Vous et votre science, comment pouvez-vous enseignez sur la tombe de mon père ! » m’avait-il répondu d’un ton horriblement menaçant.

-         « La tombe de son père » ? interrogea Dowper en haussant les sourcils d’un air étonné.

Mais avant que le physicien n’ait pu ouvrir la bouche, une chaise glissa bruyamment sur le sol carrelé de la pièce. L’inspecteur jeta un œil par-dessus son épaule et vit qu’un des enseignants s’était levé. C’était une femme assez âgée qui devait bien avoir atteint la cinquantaine selon les estimations du policier. Elle affichait un visage dont le temps n’avait offert aucun répit, décoré de cernes et de rides ici et là sur toute la surface, de sorte que le nez comme la bouche se noyait dans les crevasses profondes (plis profonds) que sa peau vieillissante avait créées. Ses yeux immenses, qui firent aussitôt penser à ceux d’un hibou veillant dans la nuit en quête d’une proie à se saisir, ne faisaient qu’obscurcir sa personne et la cascade de cheveux blancs cassés qui s’étalaient comme des algues sur l’ensemble de la largeur de son front ne faisaient qu’apporter du poids à ce tableau hostile. Enfin, la robe qu’elle portait lui cachait piteusement la taille mais le haut à manche courte ne pouvait dissimuler ses bras maigres enraciné de veines saillantes.

Malgré son très grand âge, Dowper fut surpris de constater avec quelle agilité elle s’était mise sur ses pieds minuscules.

-         Vous n’êtes pas au courant ? questionna-t-elle d’un air malicieux.

-         De quoi parlez-vous ? s’enquit le policier.

-         Du drame d’il y a 7 ans, annonça la vieille femme accompagnée d’une grimace qui faisait ressortir au premier plan tous les désagréments imaginables que la peau pouvait subir.

-         Vous voulez dire que celui qui s’est pendu 7 ans auparavant était le père de la victime ?! s’exclama Aaron.

L’inspecteur semblait déjà avoir oublié qu’il était accompagné de deux mômes.

-         Exactement, jeune homme, fit la vieille femme, Robert Mayson enseignait dans le même établissement que son fils, ici, et je ne crois pas me tromper en disant qu’il s’agit bien de son désir de se rapprocher de son fils qui a finalement causé sa perte.

-         Dites grand-mère, selon vous, pourquoi Mayson s’est-il donné la mort ? interrogea Aaron visiblement intéressé.

La vieille femme ne vacilla même pas face à la maladresse du langage du jeune homme, au contraire, elle commençait à l’apprécier. Il y avait la même lueur d’intérêts dans leurs yeux si bien qu’on les aurait aisément comparés à de vulgaires lampadaires conversant uniquement par le langage de leur scintillement lumineux, langage dont ils étaient les seuls à comprendre.

-         Tu sais gamin, la flamme qu’est la vie est fragile et se plie à la moindre brise qui la caresse. Je soupçonne que celle de Robert vacillait sous la menace d’un être sans cœur qui ne cherchait qu’à l’éteindre. Le tout est de savoir qui et pourquoi.

-         Je vois, donc vous n’avez pas l’ombre d’une idée, marmonna le jeune détective découragé.

-         « Je peux paraitre terriblement égoïste : délivré de mes péchés en m’élançant dans les bras de la mort, mon fils hérite du poids de la perte de son père. Mais soyez sans crainte les enfants, la balance sera très vite équilibrée au bout des 7 années à venir. ».

-         Pardon ? s’exclamèrent Aaron et Dowper.

La vieille femme sourit.

-         C’était le dernier message de notre cher Robert Mayson. C’est tout ce qu’il a laissé derrière lui.

-         Une question… madame ?

-         Lody, complèta-t-elle.

-         Madame Lody, Mayson était-il marié ?

-         Non.

-         Qu’est donc devenue Mlle Faint ?

-         Robert m’avait dit qu’elle avait succombée d’une tumeur au foie 6 mois après la naissance de Marty. Le gamin n’eut pas le temps de connaitre sa mère.

-         Je vois. Je crois que ça sera tout pour le moment, Madame Lody.

La vieille femme marmonna quelque mot inintelligible avant de retrouver sa place, vexée que le monopole de la parole lui ait échappé.

-         Monsieur Schaeffer, si j’ai bien tout saisi, est la dernière personne à avoir vu Marty Faint en vie. Donc depuis la sonnerie de 10 heures, plus personne ne l’a revu c’est bien cela ? interrogea l’inspecteur en parcourant la salle du regard.

Voyant qu’il ne perçut pas l’ombre d’une réponse, Dowper dut rompre le silence.



-         Mr Schaeffer, j’imagine qu’en 5 minutes, il vous était difficile voire impensable de pouvoir vous rendre auprès de la victime, la poignarder, de monter le stratagème de la chambre de close qui nous échappe encore et de rejoindre votre classe à charge. Donc vous n’aviez certainement rien fait de fâcheux entre 10h et 10h05.

-         Ravi de vous l’entendre dire, fit le physicien en esquissant un large sourire, soulagé.

-         Cependant, puisqu’on estime que Faint a trouvé la mort entre 10h15 et  11h15 et étant donné que vous avez terminé votre second cours à 10h30, il vous restait une marge de manœuvre de pas moins 45 minutes. Il n’y a donc pas de mobile sur lequel vous appuyer. De plus, cela ne vous exclut pas non plus pour le meurtre de sa petite amie.

Le sourire du professeur s’effaça brusquement comme si les commissures des lèvres avaient pris soudainement un poids énorme.

-         Vous avez bien une solution de cyanure dans votre laboratoire, je me trompe ?

-         C’est exact.

Tous les deux connaissaient la question suivante.

-         Vous en êtes-vous servi ? demanda posément le policier.

-         Vous vous fichez de moi ? explosa le physicien. Pour quelle raison aurais-je eu l’intention d’empoisonner une de mes élèves ? Hein, vous pouvez me dire ?

-         Calmez-vous. Je voulais simplement vous l’entendre dire. Une dernière question, que faisiez-vous pendant les fameuse 45 minutes ? insista le policier.

-         Je suis resté dans la salle de laboratoire à corriger des copies, n’ayant plus aucun cours pour le reste de la matinée, seul, ajouta-t-il en durcissant son regard.

-         Bien, en tout cas je crois que j’en ai terminé avec vous pour aujourd’hui, Mr Schaeffer. Vous pouvez vous en aller.

Mais avant même que l’inspecteur eut finit sa phrase, la porte s’était déjà refermée. Dowper poussa un long soupir : ça allait être bien plus éprouvant qu’il ne le pensait.

A la fin des interrogatoires qui avaient occupés le reste de l’après-midi, Aaron concentrait son attention désormais sur 4 personnes : Arnold Schaeffer le professeur de physique-chimie, Madelyn Felt le professeur d’anglais, Catheline Hierl le professeur de français (et enfin Sylvie Romas le professeur d’histoire-géographie.)

Tous les quatre n’avaient pas d’alibi valable. Schaeffer avait ce temps libre de 45 minutes dans son emploi du temps et étais la seule personne la plus disposée à mettre la main sur une solution de cyanure de potassium.

Madelyn Felt avait cours avec la classe de la victime dans la salle même du lieu du crime de 10h05 à 11h00. Bien évidemment, Marty était présent et celle-ci avait apparemment eu un entretien individualisé avec lui juste après la fin des cours. Elle disposait donc d’environ 15 à 20 minutes pour l’assassiner.

Catheline Hierl  avait interrompu le cours de Felt vers 10h20 pour s’entretenir elle aussi avec la victime. Elle prétend que c’était au tour de Faint de passer son oral de français en vue de la préparation du baccalauréat. L’étudiant repris son cours à 10h45, soit 25 minutes plus tard. Certes, il était retourné sain et sauf après ce laps de temps mais Aaron avait l’intuition que Mlle Hierl cachait quelque chose.

En résumé, cela lui faisait trois suspects bien qu’il ne savait pas encore s’il fallait se mettre à la recherche d’un assassin ou de plusieurs auteurs. Le fait est qu’il était persuadé que le premier meurtre était signé par une femme, soit Mlle Felt, soit Mlle Hierl. Désormais, il avait connaissance de l’emploi du temps de Marty Faint et il lui restait naturellement la tache de découvrir ce qu’on voulait leur cacher, après tout, c’est bien le devoir d’un détective d’amener en lumière tout ce que chacun enfoui dans les entrailles du passé comme un mauvais souvenir.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire