Lorsqu’Aaron parvint jusqu’au lycée le
lendemain matin, la première chose qu’il vit fut la présence d’un nombre
impressionnant de véhicules de police qui encerclant le bâtiment de leur corps
métalliques : une vingtaine de voitures de fonction dont les gyrophares peignaient la devanture de l’école d’un éclat écarlate,
comme pour immortaliser la tragédie qui
s’était produite la veille. Aaron s’en réjouissait, car si l’établissement
était aussi bien encadré par les forces de police, il y avait de fortes chances
qu’il en était de même pour l’assassin.
Le jeune
détective se mit aussi tôt à repérer la présence de Flynn parmi les milliers
d’uniformes bleus qui tourbillonnaient dans toutes les directions et tous les
angles possibles mêlés à une foule de curieux qui grossissaient comme une
fourmilière. Bien entendu, c’était impossible. Il allait donc devoir poursuivre
seul.
Mais en s’approchant
de plus en plus de l’entrée du bâtiment, l’étudiant pris soudain conscience
d’un inconvénient majeur dont il n’avait pourtant pas songé : comment
allait-il pouvoir pénétrer à l’intérieur des lieux maintenant que la police
contrôlait les entrées et sorties ? Il n’allait surtout pas laisser le
passage à un gamin de son âge. Leur dire qu’il s’agissait de son lycée ?
Non, aucune chance puisque les cours étaient annulés jusqu’à nouvel ordre.
-
Stop ! Entrée interdite à toute
personne étrangère à l’enquête, jeune homme, s’opposa un des policiers qui
gardaient l’entrée.
Ah ! Voilà
une excuse.
-
Bien entendu, Mr le Policier. Mais il se
trouve que je suis un témoin déterminant de l’affaire et que l’inspecteur en
charge du dossier m’avait averti de ce genre de contretemps que je risquais de
rencontrer en venant sur les lieux.
-
Pourquoi ne m’a-t-on rien dit ?
interrogea le policier frustré.
-
Ecoutez, je n’en ai aucune idée. Mais
j’imagine que la meilleure chose à faire est de me libérer le passage sans quoi
il risque d’y avoir des retombées si vous vous opposez aux décisions prises par
votre supérieur hiérarchique. Je me
trompe ?
Le policier
chercha le soutien de ses collègues mais ces derniers le regardèrent avec
une insistance évocatrice. Le policier
se sentit mis à nu par la vingtaine de paires d’yeux qui le cuisinait du regard
si bien qu’il fit signe à Aaron de passer, profondément indigné.
A peine le
grillage d’entrée passé, son attention se porta sur un homme d’âge mûr qui se tenait comme un piquet
au milieu de la cour. Il était accompagné d’une jeune fille qu’il reconnut
immédiatement. Et elle aussi du le reconnaitre puisqu’elle interpella l’homme qui l’accompagnait en pointant du
doigt le jeune détective. L’homme se retourna et en quelques enjambées parvint
à sa hauteur.
Aaron fut
surpris de constater qu’il était une de ces personnes gigantesques que l’on
s’étonne toujours de rencontrer au quotidien, un peu plus d’1,90m, large
d’épaule, et même si sa stature était impressionnante, son visage l’était
encore bien davantage. La mâchoire carrée, un nez ressemblant fortement à un bec d’aigle et des yeux d’une extrême noirceur
que l’on comparerait aisément à deux morceaux de ciel nocturne lui peignaient
un profil fort angoissant. Les traits de son visage étaient dur, sévères et
témoignaient la pratique d’une profession exténuante qui sollicitait bien des
nerfs d’acier. Tout dans le personnage dégageait une espèce de volonté
inébranlable qui s’était forgé avec le temps si bien qu’il devait être le genre
de personne à laquelle rien ne semblait échapper et dont respect et obéissance
étaient les maitres mots. Aaron soupçonnait d’avoir à faire au responsable de
l’enquête lui-même. C’est d’une voix grave qui dissimulait mal sa colère que
l’homme interpella le jeune détective.
-
Répondez-vous au nom d’Aaron Law, jeune
homme ?
-
Oui, c’est bien moi en effet, répondit
l’étudiant surpris par cette entrée en matière si brutale.
-
Je suis l’inspecteur Hugh Dowper et
voici ma fille Sepia. J’ai appris que vous étiez la deuxième personne à
interagir sur les lieux du premier crime, vous confirmez ?
-
On vous a bien informé, inspecteur,
confirma Aaron. J’ai pu effectivement pénétrer sur le lieu du crime et…Mais
attendez.
Aaron fronça les
sourcils.
-
Qu’y a-t-il ? interrogea l’inspecteur.
-
La façon dont vous m’exposez la
situation, « le premier crime », vous voulez dire qu’il y en a un
deuxième ?!
Miséricorde.
Cette information devait demeurer méconnue du grand public d’autant plus que
cela tenait davantage au miracle que la nouvelle d’un second drame n’ait pas filtré
au sein des médias. Dowper s’en voulut énormément de son incompétence. L’inspecteur
et le jeune détective demeurèrent silencieux pendant un long moment sous le
regard impatient de Sepia Dowper dont la présence même semblait s’effacer de
leur esprit.
-
Eh bien Papa, dis-le lui ou alors c’est
moi qui m’en charge, s’enquit la jeune fille tapant du pied.
Le père soupira.
Il commençait déjà à regretter d’avoir céder aux caprices de sa fille pour
l’accompagner sous prétexte que, si elle voulait un jour devenir enquêtrice
scientifique, elle devait acquérir de l’expérience. Il allait devoir se montrer
plus ferme vis-à-vis de sa fille, ne serait-ce que pour préserver son image au
sein de la Commission d’enquête.
-
En temps normal, je ne peux divulguer
les éléments de l’enquête à toute personne qui s’avèrerait être sans lien
direct avec elle, mais puisque tu constitues en soi un élément direct et fiable
dans sa résolution, j’imagine qu’il m’est possible de faire une petite exception.
Alors
écoute-moi bien car je ne le répèterai certainement pas une deuxième fois.
J’imagine qu’il est déjà assez difficile de le réaliser. Il se trouve que Jayne
Filler, la petite amie de la victime, a été retrouvée empoisonnée chez elle aux
alentours de 20h15. Deux victimes le même jour, en l’intervalle de seulement
quelques heures et l’assassin toujours en liberté.
-
Qu’est-ce que vous dites ?
s’exclama Aaron abasourdi par la nouvelle.
-
Gamin, il me semble pourtant t’avoir
averti que je ne prononcerai ces mots qu’une seule fois.
Impossible. Cela
dépassait largement tout ce dont pouvait imaginer le jeune détective. Aaron fut
visiblement pris de court, lui qui semblait si sûr de lui il y encore seulement
quelque temps. D’abord une chambre close et puis ensuite, en considérant qu’il
s’agisse du même auteur, un double meurtre : il y avait de quoi être saisi
d’horreur.
-
Avez-vous un suspect ?
-
Oui, enfin ce n’est plus vrai dès lors
que l’infortunée Jayne Filler a trouvé la mort. On la considérait comme notre
seule suspecte et voilà qu’elle s’échappe du monde des vivants.
-
Vous pensez au suicide ? tenta
Aaron d’un air suspicieux.
-
« C’est peu probable, jeune homme.
Je suppose que je vous dois bien un rapport détaillé de l’avancé de l’enquête
pour clarifier aux maximum les faits. Je
vais donc tenté d’être bref sans omettre le plus fin des détails. D’après
un examen approfondi, Marty Faint, la première victime, a trouvé la mort en
recevant la charge meurtrière de son assassin en plein cœur. Rapide, net et
précis. On suppose que les évènements sont survenus entre 10h 15 et 11h15 tandis
que la victime n’avait pas cours de toute la matinée. D’après ses camarades
présents ce jour-là, il avait demandé les clefs de la salle 238, leur salle de
classe principale, auprès du délégué de classe qui n’était autre que sa petite
amie elle-même, afin de pouvoir trouver le calme pour ne pas perturber ses
révisions d’examens de fin d’année.
Seulement,
durant le peu de temps qui précédait la tragédie, certains élèves ont surpris
Marty Faint et Jayne Filler se quereller, ce qui était assez rare comme diraient
certains, mais ils ne pourraient nous informer de la raison de leur dispute. La
plupart confirment que leur entrevue a pris fin lorsque Jayne lui a remis les
clefs en main propre. La suite vous la connaissez. Enfin j’entends, tout ce
dont vous avez pu voir sur la scène de crime, mais ce que je vais vous révéler
est vraiment tout ce qu’il y a de plus ahurissant.
Entre
nous soit dit, j’ai interrogé Hiro Keisuke, un des témoins. Apparemment, vous
avez pu déduire assez d’éléments convaincants et d’une remarquable habileté. Je
ne saurais expliquer d’où vous vient cet étonnant talent, mais sachez seulement
que la police ne fera pas la sourde oreille à vos remarques, gamin, j’y
veillerai personnellement. »
«
Quoi qu’il en soit, comme vous l’avez fait remarquer, le crime perpétré à
l’encontre de Marty Faint est un authentique cas de meurtre en chambre close
dont nous n’avons encore aujourd’hui aucun élément nouveau permettant de nous éclairer
sur le procédé utilisé par son assassin. En tout cas, nous pensons que le
mystérieux message, qui malheureusement n’a pas été écrit à la main mais bien à
la machine, sans quoi nous aurions pu en faire un examen graphologique, ce
message donc, nous pensons qu’il constitue la clef de tous ces meurtres. Encore
faut-il en comprendre la signification. Mais nos équipes sont déjà penchées sur
le problème.
Bien.
A présent, ce que je vais vous révéler vas certainement vous stupéfier, Law.
Figurez-vous que le téléphone portable, qui était dans un premier temps sur le
sur le lieu du premier crime, comporte des traces de cyanure de potassium sur
certaines touches. Or, il se trouve que Jayne Filler a fait l’objet d’un
empoisonnement au cyanure le jour même, et, comme on me l’a informé, celle-ci a
récupéré son téléphone sur les lieux. Il est donc indéniable que ce téléphone
constitue l’arme du crime de la malheureuse. Mais tout le mystère réside là,
nous n’avons trouvé aucune trace de cyanure en dehors de celles trouvées sur le
portable, et ce même en vérifiant les mains de Marty Faint. Pourtant, si
celui-ci a emprunté le téléphone auprès de sa petite amie, il est tout naturel
de penser qu’il s’en est servi, sinon à quoi bon ? Alors pourquoi, n’a-t-on
trouvé aucune trace de poison sur Faint ? Et puis, on ne sait pas si ça a
sa place dans cette affaire, mais un numéro inconnu est affiché en mémoire à
l’heure précise de 10h33, donc au moment où la victime se trouvait très
probablement dans la salle. Mais le mystère ne prend pas fin pour autant. Non
au contraire, il s’épaissit davantage par le biais d’un détail encore plus
troublant. »
L’inspecteur
interrompit son récit, désireux, en tout bon conteur, de tenir en haleine son
interlocuteur. Visiblement, l’effet fut réussi car Aaron bouillonnaient d’impatience
et ne semblait guère apprécier le suspens opéré par le chef de la police.
-
Quel détail ? interrogea l’étudiant
dévoré par une folle envie de secouer le représentant de la loi.
S’il n’y avait
pas sa fille à ses côtés, il aurait sans doute déjà fait.
-
Nous savons à qui appartiennent les
empreintes présentes sur le couteau utilisé pour poignarder Faint, répondit
posément le policier.
-
Il y avait des empreintes ? Je
croyais que l’assassin portait des gants ? A qui appartenaient-elles ?
s’enquit le jeune détective.
-
A un certain Robert Mayson.
-
Nous avons donc un suspect !
s’exclama l’adolescent avec un large sourire.
L’inspecteur
secoua la tête.
-
Il s’est éteint il y a 7 ans de cela
déjà. D’après l’enquête officielle, il s’est suicidé par la corde, au sein même
de cet établissement. Ce lycée est vraiment le lieu le plus maudit qu’il m’est
jamais été donné de rencontrer. Mais sachez qu’il n’est pas dans ma nature de croire
aux histoires de fantôme, Law.
*
-
Nous y voilà inspecteur. L’ensemble du
corps enseignant est réuni dans la salle d’études. Ils n’attendent plus que
vous. »
-
Très bien, j’arrive. Empressez-vous de
les rejoindre.
Aaron
tenait plus que tout à accompagner l’inspecteur Dowper et sa fille pour les
interrogatoires et à son grand étonnement, ce dernier n’y avait formulé aucune objection. C’était la seule
manière d’obtenir de nouveaux indices et donc de pouvoir avancer dans son
enquête. Quel excitation tout de même tous ces mystères qui s’imbriquaient et
s’emmêlaient dans cette affaire !
Lorsqu’ils
furent au pied de la porte de ladite salle, Aaron ne put s’empêcher de frémir à
l’idée que l’assassin se trouvait forcément à l’intérieur.
L’inspecteur
franchi le seuil et les deux adolescents
lui emboitèrent discrètement le pas. Aussitôt, des flashs de regards les
dévisagèrent comme s’ils n’avaient rien d’humain. La plupart des enseignants n’étaient guère enchantés
d’être retenu entre quatre murs de la sorte, comme des criminels ou pire des
animaux. Mais l’inspecteur Dowper avait pris l’habitude, avec le temps et
l’expérience, de ce sentiment et resta de marbre aux effusions de plaintes qui
balayaient la salle.
«
Bien le bonjour à vous tous, commença l’inspecteur, je vous remercie d’avance
pour votre aimable coopération. Mais ne nous engageons pas dans le méandre des
mirages : vous allez tous, tout à tour, nous exposer ce que vous faisiez
dans la journée d’hier. Mais entendons-nous bien, en aucun cas il ne vous sera porté
préjudice si vous n’avez de près ou de loin été lié à cette affaire, d’autant plus
que, avouons-le, aucun d’entre vous ne fait l’objet de suspicion. J’aimerais
préserver ce climat d’entente au plus long terme, ne serait-ce que pour
garantir un certain équilibre dans nos investigations.
Dans
ces conditions, il va être tout à fait légitime de penser que seul l’assassin
sera étranger à cet environnement car c’est bien sur lui-même qui en est
l’auteur. Il a parsemé autant de preuves et de traces qu’un jardinier
disposerai de ses fleurs et a semé la mort tel qu’on cultive les graines qui s’enracinent
au sol. Messieurs dames, nous voici ancrés dans le décor que l’assassin s’est
empressé de planter. A nous de retrouver ce qui s’y passait en premier plan…sur
la scène. Considérons-nous comme de simples techniciens car il s’agit bien là
de mener le diable sous les feux des projecteurs. »
Aussitôt
les enseignants avertis, il y eut quelques murmurent qui flottèrent dans la
salle mais ces derniers furent rapidement réduit au silence lorsque
l’inspecteur se planta devant la personne à sa gauche, d’un air imperturbable.
C’était
un homme d’une trentaine d’années qui semblait se morfondre contre le dossier
de sa chaise comme s’il s’agissait d’un fauteuil. Ses yeux noirs semblables à
ceux d’un ours en peluche qui s’enfonçaient derrière ses grandes lunettes en
verres épais dévoraient jalousement l’attention de tous ceux qui les croisaient,
si bien que beaucoup de traits pouvaient facilement se soustraire aux regards
les moins aguerris. Pourtant, un œil neuf aurait été immédiatement frappé par
ces oreilles incroyablement petites dont la forme rappelait drôlement celle
d’un bretzel, de ce front immense et frustré qui donnait l’illusion qu’il
gagnait en hauteur, de ces cheveux en bataille ainsi que cette barbe très dense
qui témoignaient cruellement d’un manque d’attention et de soin ou encore ces
lèvres compressées nerveusement l’une contre l’autre jusqu’au sang. Ses mains
blanchies par la craie ne cessaient de se tortiller frénétiquement l’une contre
l’autre et la pression exercée sur les os de ses phalanges provoquait un son
écœurant qui vous collait à l’oreille comme une puce. Visiblement, ses muscles
refusaient de lui obéir au profit des conquêtes (expansion) d’une nervosité
dévorante (impitoyable) qui s’attaquait sans relâche à son système cérébral
impuissant. Voilà un homme capable de redéfinir l’expression « être mal
dans sa peau » !
-
Monsieur, s’engagea-t-il, puis-je avoir
votre nom ?
-
Certainement, lui répondit son
interlocuteur d’un ton désinvolte. Je me nomme Arnold. Arnold Schaeffer.
-
Quelle matière enseignez-vous ?
-
Je suis professeur de physique-chimie.
-
Etes-vous le seul enseignant à instruire
cette matière ?
-
Oui.
-
Bien. Comme vous vous le doutiez
certainement, je vais vous demander de m’éclairer sur ce que vous faisiez dans la
journée d’hier, ou plutôt dans la matinée entre 10h15 et 11h15.
Le professeur
réajusta ses lunettes sur le dos (l’arcade) de son nez à l’aide d’un index
tremblotant et poussa un long soupir d’approbation.
-
Très bien. Je sortais tout juste de
cours avec la classe de 1ère à 10h00 pile. Immédiatement après la
sonnerie, je me suis rendu dans la salle des professeurs afin de faire des
photocopie d’un cours en polycopié pour la classe de terminale que j’allais
prendre à 10h05. Entre 10h05 et 10h30, je n’étais nulle part d’autre qu’en
salle de classe avec les Terminales.
-
Vous aviez fait un cours de seulement
une demi-heure avec la classe de Terminale ? s’étonna Dowper.
-
C’était un cours de travaux pratique qui
ne demandait que la moitié de l’heure, se justifia le physicien.
-
Est-ce la première fois qu’il vous
arrivait de faire un cours de si petite durée ?
-
Non. J’en fais au moins un toutes les
semaines soit le jeudi soit un vendredi. En l’occurrence hier nous étions
vendredi.
-
La sonnerie sonne-t-elle toujours 5 minutes
avant et après chaque heure de la journée ?
-
Oui. A l’heure pile, les cours prennent
fin puis ils reprennent 5 minutes plus tard. Il y a donc 5 minutes
d’interclasse.
-
Y avait-il quelqu’un dans la salle des
professeurs au moment où vous y êtes allé ?
-
Non, il n’y avait personne.
-
Donc personne pour confirmer votre
présence à ce moment-là.
-
En effet, admit Schaeffer d’un air
méfiant.
-
Parmi cette classe de première dont vous
étiez à charge jusqu’à 10h00, Marty Faint en faisait-il partie ?
-
Oui. Il était bien présent.
-
Etait-il dans son état normal ?
-
Que voulez-vous dire ?
-
Eh bien, paraissait-il nerveux ou
angoissé ? interrogea l’inspecteur exaspéré.
-
Non pas à ma connaissance. En fait, il
paraissait plutôt de bonne humeur et était surexcité au point que j’avais de la
peine à le calmer. Je voyais bien qu’il ne tenait pas en place. Bien sûr c’est
tout à son naturel d’agir ainsi, après tout tous ces messieurs dames vous le
confirmeront, dit-il en désignant du regard ses collègues, c’est le caractère
que nous lui connaissons mais je dois avouer qu’il était étrangement excessif
dans son comportement.
-
Vous ne saurez nous dire la raison de
son excitation ?
-
Malheureusement non.
-
Comment a-t-il réagi à votre rappel à
l’ordre ?
Soudainement, le
visage du professeur se fit (se voulait) plus dur et ses yeux noirs perçaient à
travers ses lunettes l’imposante silhouette de l’inspecteur.
« Vous et
votre science, comment pouvez-vous enseignez sur la tombe de mon
père ! » m’avait-il répondu d’un ton horriblement menaçant.
-
« La tombe de son
père » ? interrogea Dowper en haussant les sourcils d’un air étonné.
Mais avant que
le physicien n’ait pu ouvrir la bouche, une chaise glissa bruyamment sur le sol
carrelé de la pièce. L’inspecteur jeta un œil par-dessus son épaule et vit
qu’un des enseignants s’était levé. C’était une femme assez âgée qui devait
bien avoir atteint la cinquantaine selon les estimations du policier. Elle
affichait un visage dont le temps n’avait offert aucun répit, décoré de cernes
et de rides ici et là sur toute la surface, de sorte que le nez comme la bouche
se noyait dans les crevasses profondes (plis profonds) que sa peau
vieillissante avait créées. Ses yeux immenses, qui firent aussitôt penser à
ceux d’un hibou veillant dans la nuit en quête d’une proie à se saisir, ne
faisaient qu’obscurcir sa personne et la cascade de cheveux blancs cassés qui s’étalaient
comme des algues sur l’ensemble de la largeur de son front ne faisaient
qu’apporter du poids à ce tableau hostile. Enfin, la robe qu’elle portait lui
cachait piteusement la taille mais le haut à manche courte ne pouvait
dissimuler ses bras maigres enraciné de veines saillantes.
Malgré son très
grand âge, Dowper fut surpris de constater avec quelle agilité elle s’était
mise sur ses pieds minuscules.
-
Vous n’êtes pas au courant ?
questionna-t-elle d’un air malicieux.
-
De quoi parlez-vous ? s’enquit le
policier.
-
Du drame d’il y a 7 ans, annonça la
vieille femme accompagnée d’une grimace qui faisait ressortir au premier plan
tous les désagréments imaginables que la peau pouvait subir.
-
Vous voulez dire que celui qui s’est
pendu 7 ans auparavant était le père de la victime ?! s’exclama Aaron.
L’inspecteur
semblait déjà avoir oublié qu’il était accompagné de deux mômes.
-
Exactement, jeune homme, fit la vieille
femme, Robert Mayson enseignait dans le même établissement que son fils, ici,
et je ne crois pas me tromper en disant qu’il s’agit bien de son désir de se
rapprocher de son fils qui a finalement causé sa perte.
-
Dites grand-mère, selon vous, pourquoi
Mayson s’est-il donné la mort ? interrogea Aaron visiblement intéressé.
La vieille femme
ne vacilla même pas face à la maladresse du langage du jeune homme, au
contraire, elle commençait à l’apprécier. Il y avait la même lueur d’intérêts
dans leurs yeux si bien qu’on les aurait aisément comparés à de vulgaires
lampadaires conversant uniquement par le langage de leur scintillement
lumineux, langage dont ils étaient les seuls à comprendre.
-
Tu sais gamin, la flamme qu’est la vie
est fragile et se plie à la moindre brise qui la caresse. Je soupçonne que
celle de Robert vacillait sous la menace d’un être sans cœur qui ne cherchait
qu’à l’éteindre. Le tout est de savoir qui et pourquoi.
-
Je vois, donc vous n’avez pas l’ombre d’une
idée, marmonna le jeune détective découragé.
-
« Je peux paraitre terriblement
égoïste : délivré de mes péchés en m’élançant dans les bras de la mort,
mon fils hérite du poids de la perte de son père. Mais soyez sans crainte les
enfants, la balance sera très vite équilibrée au bout des 7 années à
venir. ».
-
Pardon ? s’exclamèrent Aaron et
Dowper.
La vieille femme
sourit.
-
C’était le dernier message de notre cher
Robert Mayson. C’est tout ce qu’il a laissé derrière lui.
-
Une question… madame ?
-
Lody, complèta-t-elle.
-
Madame Lody, Mayson était-il
marié ?
-
Non.
-
Qu’est donc devenue Mlle Faint ?
-
Robert m’avait dit qu’elle avait
succombée d’une tumeur au foie 6 mois après la naissance de Marty. Le gamin
n’eut pas le temps de connaitre sa mère.
-
Je vois. Je crois que ça sera tout pour
le moment, Madame Lody.
La
vieille femme marmonna quelque mot inintelligible avant de retrouver sa place,
vexée que le monopole de la parole lui ait échappé.
-
Monsieur Schaeffer, si j’ai bien tout
saisi, est la dernière personne à avoir vu Marty Faint en vie. Donc depuis la
sonnerie de 10 heures, plus personne ne l’a revu c’est bien cela ?
interrogea l’inspecteur en parcourant la salle du regard.
Voyant
qu’il ne perçut pas l’ombre d’une réponse, Dowper dut rompre le silence.
-
Mr Schaeffer, j’imagine qu’en 5 minutes,
il vous était difficile voire impensable de pouvoir vous rendre auprès de la
victime, la poignarder, de monter le stratagème de la chambre de close qui nous
échappe encore et de rejoindre votre classe à charge. Donc vous n’aviez
certainement rien fait de fâcheux entre 10h et 10h05.
-
Ravi de vous l’entendre dire, fit le
physicien en esquissant un large sourire, soulagé.
-
Cependant, puisqu’on estime que Faint a
trouvé la mort entre 10h15 et 11h15 et
étant donné que vous avez terminé votre second cours à 10h30, il vous restait
une marge de manœuvre de pas moins 45 minutes. Il n’y a donc pas de mobile sur
lequel vous appuyer. De plus, cela ne vous exclut pas non plus pour le meurtre
de sa petite amie.
Le sourire du
professeur s’effaça brusquement comme si les commissures des lèvres avaient
pris soudainement un poids énorme.
-
Vous avez bien une solution de cyanure
dans votre laboratoire, je me trompe ?
-
C’est exact.
Tous les deux
connaissaient la question suivante.
-
Vous en êtes-vous servi ? demanda
posément le policier.
-
Vous vous fichez de moi ? explosa
le physicien. Pour quelle raison aurais-je eu l’intention d’empoisonner une de
mes élèves ? Hein, vous pouvez me dire ?
-
Calmez-vous. Je voulais simplement vous
l’entendre dire. Une dernière question, que faisiez-vous pendant les fameuse 45
minutes ? insista le policier.
-
Je suis resté dans la salle de
laboratoire à corriger des copies, n’ayant plus aucun cours pour le reste de la
matinée, seul, ajouta-t-il en durcissant son regard.
-
Bien, en tout cas je crois que j’en ai
terminé avec vous pour aujourd’hui, Mr Schaeffer. Vous pouvez vous en aller.
Mais avant même
que l’inspecteur eut finit sa phrase, la porte s’était déjà refermée. Dowper
poussa un long soupir : ça allait être bien plus éprouvant qu’il ne le
pensait.
A la fin des
interrogatoires qui avaient occupés le reste de l’après-midi, Aaron concentrait
son attention désormais sur 4 personnes : Arnold Schaeffer le professeur
de physique-chimie, Madelyn Felt le professeur d’anglais, Catheline Hierl le
professeur de français (et enfin Sylvie Romas le professeur
d’histoire-géographie.)
Tous les quatre
n’avaient pas d’alibi valable. Schaeffer avait ce temps libre de 45 minutes
dans son emploi du temps et étais la seule personne la plus disposée à mettre
la main sur une solution de cyanure de potassium.
Madelyn Felt
avait cours avec la classe de la victime dans la salle même du lieu du crime de
10h05 à 11h00. Bien évidemment, Marty était présent et celle-ci avait
apparemment eu un entretien individualisé avec lui juste après la fin des
cours. Elle disposait donc d’environ 15 à 20 minutes pour l’assassiner.
Catheline
Hierl avait interrompu le cours de Felt
vers 10h20 pour s’entretenir elle aussi avec la victime. Elle prétend que c’était
au tour de Faint de passer son oral de français en vue de la préparation du baccalauréat.
L’étudiant repris son cours à 10h45, soit 25 minutes plus tard. Certes, il
était retourné sain et sauf après ce laps de temps mais Aaron avait l’intuition
que Mlle Hierl cachait quelque chose.
En résumé, cela
lui faisait trois suspects bien qu’il ne savait pas encore s’il fallait se
mettre à la recherche d’un assassin ou de plusieurs auteurs. Le fait est qu’il
était persuadé que le premier meurtre était signé par une femme, soit Mlle
Felt, soit Mlle Hierl. Désormais, il avait connaissance de l’emploi du temps de
Marty Faint et il lui restait naturellement la tache de découvrir ce qu’on
voulait leur cacher, après tout, c’est bien le devoir d’un détective d’amener
en lumière tout ce que chacun enfoui dans les entrailles du passé comme un
mauvais souvenir.
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