dimanche 8 avril 2012

Chapitre 2


Chapitre 2 : Aaron





                    Le principal entra dans la salle de son pas lourd habituel. Bien sûr tous les élèves l’identifièrent à la seconde même où sa main se posa sur la poignée, après tout ce petit homme corpulent, gentillet et débonnaire faisait le plaisir de tous les étudiants du lycée : « Enfin un directeur pas embêtant du tout ! » disaient certains. Mais aujourd’hui semblait être un jour différent des autres. Les élèves présents dans la salle remarquèrent presqu’instantanément que quelque chose le dérangeait. Il ne fallait pas avoir les sens surdéveloppés pour s’en apercevoir. En fait ce qui tracassait le directeur, c’était le nouvel élève qu’il s’apprêtait à faire entrer et présenter à la classe. Ce nouvel élève qui selon son dossier a toujours été impliqué, sans raison apparente, dans différents «accidents » alors même que la police a toujours jugé qu’il se trouvait sur les lieux par pure coïncidence. En cela, il se distinguait largement des 2100 élèves de l’établissement.  Ce garçon, il ne faisait aucun doute, a fait l’objet d’une  sacrée malédiction. En tant que directeur il s’était promis dès son arrivée à veiller tout particulièrement  sur lui, car même si son image faisait paraitre un homme aimable et gentil,  il était hors de questions qu’il y ait le moindre  problème dans son établissement. Ce nouvel élève était dans son collimateur d’autant plus que ses résultats scolaires laissaient à désirer.

      En entrant dans la salle, son regard parcourut rapidement l’ensemble du périmètre pour noter si l’un des élèves avait eu l’audace de s’absenter. Il esquissa un large sourire quand il fit le compte : 25 élèves, apparemment tout le monde étais là. Il se félicita de la fidélité des lycéens qu’il mit sur le compte de sa méthode du « proviseur attentionné. »

-         Tout le monde… levez-vous, lança-t-il d’une voix fière.



Comme si ils n’avaient été qu’un tous les élève se levèrent.



-         Jeunes gens, j’ai deux nouvelles à vous annoncer. Premièrement, préparez-vous à recevoir un nouveau camarade qui va faire passer le nombre impair de cette classe à un nombre pair.

 C’était la seule satisfaction que tirait le petit homme de la présence du nouvel élève. Il ne supportait pas qu’il y ait un quelconque désordre dans son lycée et vouait un culte extrême à la perfection.

A ce moment, comme une mélopée, les voix des élèves se mirent à danser dans la salle, les filles se questionnaient sur le nouvel élève s’il était mignon ou bien tout le contraire de ce qu’elles espéraient, tandis que les garçons rageaient sur le fait que le nouveau constituait un rival de plus.



-         J’aimerais avoir le calme s’il vous plait ! s’écria soudain le directeur de sa voix grasse et fluette. Bien. Notre nouveau camarade mérite notre respect, d’autant plus qu’il ne faut pas oublier qu’à l’heure qu’il est, il doit être effrayé à l’idée de devoir affronter les nombreux regards de cette classe…



-         Qui est effrayé ? J’ose espérer que vous ne parlez pas de moi, Mr le Directeur.

 La voix qui s’éleva de la porte attira l’attention de toute la classe. Sans se faire attendre et sans en recevoir la permission, le mystérieux étudiant s’avança dans la pièce en faisant face, d’un côté à la vingtaine de visages peuplant son champ de vision et d’un autre, tournant le dos au tableau blanchi par la craie. C’était un jeune homme dont la taille atteignait  approximativement le 1,70m classique, qui n’était ni trop mince ni trop gros. Mais ce garçon avait vraiment quelque chose de particulier, voire quelque chose d’impensable, d’irréel : ses cheveux étaient entièrement blonds mais d’un blond spécial qui se dorait au contact des rayons du soleil, et qui lui descendaient jusque devant les yeux. Si les élèves se questionnaient sur la nature de ses cheveux, le plus étrange était encore ses yeux. En fait, le jeune homme était hétérochrome, autrement dit, ses yeux avaient l’étrange particularité d’être vairons, un œil de couleur vert et l’autre de couleur marron. Cela dit, si ses particularités physiques attiraient l’attention, cela n’altérait pas son capital de charme.



-         Ah j’ai oublié votre nom, jeune homme, fit le proviseur, amusé.

-         J’ai du mal à vous croire, vous savez, rétorqua l’adolescent. Quelque chose me dit que vous mentez… A moins que vous ne tentez tout simplement de vous payer ma tête, auquel cas  je suis désolé d’avoir ruiné votre instant comique, d’autant plus que j’imagine que cela a du vous demander un effort monumental de réflexion.



C’est alors que la classe s’engagea dans un éclat de rire collectif, si bien que tout le monde était forcé de se demander qui était ce jeune homme qui osait se moquer ouvertement du directeur sans en redouter les conséquences.

Tout le monde riait aux éclats alors qu’évidemment  le Principal perdait tous ses moyens, rouge de honte. Le jeune homme se félicita, satisfait de l’effet provoqué, bien qu’il discerna à son grand étonnement  une exception à la règle. Une jeune fille assise au premier rang le dévisageait, visiblement irritée. Elle n’était ni actrice ni spectatrice de son jeu et ne se retint pas pour laisser échapper un long bâillement comme pour lui faire signe de son désintéressement. Une telle animosité l’étonna puisque tout ce qu’il voulait, c’était de détendre l’atmosphère, ce qui était plutôt réussit à en juger du bruit environnant. Le Directeur malgré le pic gigantesque décoché par le lycéen et la frustration d’avoir été ridiculisé, fit un énorme effort pour se ressaisir.

-         Bon ceci étant…,  le petit homme s’arrêta un bref instant le temps de faire comprendre aux derniers retardataires qu’il souhaitait désormais le silence, puis reprit. Maintenant jeune homme, présentez-vous à  la classe.

-         Si vous me le demandez si gentiment…
Mais sans lui laisser le temps de répondre, à la grande surprise générale, un asiatique fit irruption dans la salle, dégoulinant de sueur à tel point qu’on eut cru qu’il finissait tout juste une course olympique. Il s’affaissa sur ses genoux, prit une pause le temps de reprendre son souffle mais ne fit pas attention aux regards ébahis des lycéens face au spectacle qui leur offrait.

Il se tourna alors haletant en direction du directeur tout juste remis de cette entrée fracassante.



-         Mr le Directeur, je vous prie de m’excuser, mais sur les papiers il n’était pas inscrit que votre établissement ait la réputation d’être dissimulé dans la forêt voisine de l’Amazonie…plaisanta-t-il d’un fort accent japonais.



Nouvelle vague d’excitation et d’éclats de rire, mais qui toucha cette fois, l’ensemble de la classe ainsi que la jeune fille du premier rang, ce qui ne manqua pas de renfrogner  le nouveau venu, défaitiste.



-         Oui je vous l’accorde, répondit le directeur notant ce nouveau personnage dans sa liste noire  personnelle, notre lycée est loin d’être facile d’accès. Sa situation géographique, en pleine forêt comme vous l’avez bien souligné, rend les communications moins fiables, si bien que la ville la plus proche se situe à au moins deux heures d’ici. C’est une particularité que certains apprécient tout particulièrement et c’est pourquoi nous avons à disposition des élèves des dortoirs pour tous.

Le jeune lycéen n’avait toujours pas pardonné son père de l’avoir envoyé dans ce trou perdu. « Il me semble qu’on a déjà eu ce genre de conversation, c’est pour ta sécurité Aaron. », lui avait-il dit au bout du fil, il y a un mois déjà. Quelle sécurité ? Cette même rengaine habituelle qui était de plus en plus horrible à supporter. Mieux valait chasser son visage de son esprit pour le moment ne serait-ce que pour la tranquillité d’esprit.

-         Bien, maintenant que vous êtes parmi nous, poursuivit le directeur, commençons sans tarder votre intronisation.

-         Très bien. Donc je m’appelle Hiro Keisuke, informa le japonais la langue pendante. Et comme vous l’avez forcément remarqué, je suis japonais. Aussi bizarre que cela puisse vous paraitre, je serais votre nouveau professeur de mathématiques, et ce dès aujourd’hui.

-         Heu dites, j’ai horreur d’intervenir comme ça, mais je fais quoi,  moi ? s’enquit Aaron.

 Hiro se retourna et croisa le regard du jeune homme. Il arbora alors un sourire symbolique, propre à ceux qui savent généralement mieux que quiconque dans quelle situation ils évoluaient : il avait en face de lui le fils d’un des plus grands détectives de la planète.

-         On peut savoir ce que tu fiches derrière mon dos, jeune homme ? demanda-t-il toujours souriant.

-         Eh bien le directeur, qui d’ailleurs vient de s’en aller, a demandé à ce que je me présente,…..mais j’ai été interrompu, répondit Aaron en lançant un regard méfiant.

-         Ah mince c’est vrai que le directeur nous a laissé, souligna le japonais sans considérer le pic de l’adolescent. Je t’en prie, poursuit donc  ta présentation.

-         Bien désolé tout le monde, je m’appelle Aaron. Si je suis ici c’est surtout du fait de mon père et de son travail qui m’oblige souvent à changer d’établissements, parfois 3 fois par mois ou bien 2 fois tous les deux ans, ça varie en fait. Si bien que je ne dispose jamais assez de temps qu’il faut pour me lier d’amitié avec les gens, au risque de les perdre…

Ces mots touchèrent droit au cœur le japonais qui était la seule personne  dans la salle à comprendre ce que ressentait vraiment le jeune garçon alors qu’il ne s’attendait pas du tout à cette vague de mélancolie. Il tenta tant bien que mal d’intérioriser ses sentiments. Et dire qu’il se trouvait là impuissant, avec un adolescent courageux et  en manque d’affection. Il se disait que la vie était injuste parfois.

-         …mais j’espère que ça ne nous empêchera pas de mieux nous connaitre, conclut Aaron, souriant.

-         Mais qu’est-ce que c’est que cette tronche en biais, je te croyais plus costaud que ça ! s’écria une voix puissante au fond de la salle.

 Elle émanait d’un jeune homme situé près de la fenêtre. Ce jeune homme maintenant debout atteignait  bien 1,80 m, plutôt large d’épaule, cheveux brun coupé court. Une peau étonnement bronzé, malgré le fait que l’hiver battait son plein,  trahissait ses origines métisses. Ses yeux était d’un bleu à la fois profond et électrique, certains lui trouverait du charme à condition d’aimer  les types dans son genre. Le fait qu’il avait l’air plus athlétique qu’intelligent lui donnait plus de chances du côté des filles.
Mais le plus important et le plus incroyable c’est que son visage  ne lui était  pas inconnu pour Aaron qui, pourtant, venait à peine de débarquer. Où   avait-il déjà vu cette tête d’ahuri ? De vieux souvenir rejaillissaient alors presque instantanément  de sa mémoire.

Ils dataient de l’époque de l’école primaire, le temps où Aaron était constamment  brutalisé par un de ces petits caïds des cours de récré.

 C’est à cette époque qu’un jeune garçon était intervenu, ce dernier venait d’être transféré le jour même et n’avait pas hésité une fraction de secondes à lui prêter main-forte alors même que rien ne le poussait à le faire et ne demandant absolument rien en échange. Il s’était débarrassé des 3 bandits d’un seul mouvement de bras sous les yeux ébahis d’Aaron,  agenouillé à terre.

-         Rien de cassé ? Je me présente peut être ?  Moi c’est Flynn Alegre, mais je t’en prie appelle-moi Flynn.

-         Heu, Aaron, Aaron Law…mais pourquoi tu… ?

-         Aaron’pétoch, moi ça me va, poursuivit le baraqué dans un éclat de rire.

-         Heu non, non, moi c’est Aaron…

-         Oui c’est bien ce que  j’ai dit, rétorqua Flynn incrédule, j’en ai pas l’air comme ça, mais je me sers aussi de ma tête. Ces brutes ne viendront plus jamais te chercher des ennuis, crois-moi, quant à moi à peine arrivé, un ami de trouvé ! s’écria-t-il en lui tendant sa main robuste.

Aaron resta interdit. Son protecteur dégageait une telle force, une telle générosité qu’il se demandait si tout cela n’était pas tout simplement un rêve.

Comme pour en avoir le cœur net, Aaron s’agrippa de ses deux mains à cette corde qu’on lui tendait, tout étourdi par la succession fulgurante des évènements qui se déroulaient.

-         Ami ? chuchota le colosse.

-         Ami, répondit Aaron , le cœur léger.



Ce fut le début d’une indéfectible amitié. Mais comme à son habitude, sa relation amicale était menacée par le travail de son père, si bien qu’Aaron fini par s’en aller, laissant derrière lui la seule personne qu’il considérait comme son frère.

-         Flynn ! C’est bien toi ? s’écria-t-il tout excité,  ça fait un bail, je me disais bien que cette tête d’abruti me disait quelque chose.

-         On se retrouve tout juste après deux ans de séparation et tu m’envoie déjà des mots doux, décidément c’est qu’il est resté fidèle à lui-même, notre Aaron’pétoch, soupira l’intéressé.

-         C’est dingue comme le hasard fait bien les choses, hein ? poursuivit Aaron. Je n’aurai jamais cru qu’on se retrouverait après tant d’années, dans le même lycée et encore moins dans la même classe !

-         Tu l’as dit, j’espère que tu resteras plus longtemps cette fois.



Flynn baissa les yeux. Il redoutait la réponse et n’osait pas regarder son jeune ami de face. Il ne supporterait pas une nouvelle fois de perdre son ami, comme ça, du jour au lendemain.



-         Normalement, la situation a changé par rapport à il y a 10 ans, répondit Aaron détournant le regard, maintenant je …

-         Désolé d’interrompre vos touchantes  retrouvailles  mais j’aimerais bien commencer mon cours messieurs, intervint M. Keisuke. Alors si M.Law et M. Alegre  se donnaient bien la peine de restituer leurs places, merci.



Décidément, Aaron méprisait  de plus en plus ce type. Premièrement, il enseignait les mathématiques ce qu’il détestait  par-dessus tout, deuxièmement, il avait réussi à arracher le sourire à la seule fille qui n’a pas apprécié sa plaisanterie  et enfin, alors qu’il venait à peine de retrouver son meilleur ami, il se permettait de les interrompre. «  Quelque chose me dit qu’on va bien s’entendre mon vieux » souffla-t-il.



-         Si M. Keisuke veut bien m’indiquer ma place,  c’est avec grand plaisir que j’accèderais à sa requête, rétorqua insolemment Aaron, la langue à demi dehors.

-         Ah oui, c’est vrai.  Eh bien assieds- toi à côté de cette jeune fille juste là, montra le professeur.





En suivant la direction pointée par le doigt mince du japonais, Aaron grimaça.

Sa nouvelle voisine n’était autre que la jeune fille qui le dévisageait avec violence un peu plus tôt. C’était officiel, il détestait ce type.

Il se consola néanmoins  d’avoir retrouvé Flynn en se disant que finalement ça aurait pu être pire.

Aaron traversa la salle, puis prit place  rapidement sans jeter un regard à sa voisine. Au fur et à mesure que les secondes passèrent, sa place prenait la forme menaçante d’une chaise électrique. Il allait tenter de nouer le contact et redoutait sa réaction. On aurait dit qu’il se préparait à dompter  un lion.



-         Salut, moi c’est Aaron… comment tu t’appelles ?

-        



Elle l’ignorait complètement. Non, mais quel culot !



-         Euh… comme je suis nouveau je n’ai pas encore mes bouquins tu ne voudrais pas partager le tien s’il te plaît ? poursuit Aaron non découragé.

-        



Elle ne pipa toujours aucun mot. Puis, elle déplaça malgré tout son livre au centre de la table accompagné d’un long soupir.



-         Merci.

Le reste du cours se termina sans que l’un ou l’autre n’ouvre la bouche. Dès la sonnerie, elle prit dans la volée toutes ses affaires puis se dirigea automatiquement à la sortie en se fondant dans la foule immense qui surchargeait les couloirs. Décidément, il ne comprendrait jamais le sexe opposé.

Et puis comme l’avait déjà dit son plus grand idole, le célèbre Sherlock Holmes, « La femme est la plus grande énigme de l’homme ».

Aaron souriait bêtement, le simple fait de songer au plus grand détective de tous les temps, cela le mettait de bonne humeur. Son sourire se fit plus large encore lorsque que Flynn, visiblement impatient,  lui faisait signe de le rejoindre à l’extérieur.

Quand la salle s’allégea de tous les élèves, Hiro Keisuke prit soin de fermer la porte pour éviter  le risque d’être  dérangé et, toujours à l’intérieur,  sorti son téléphone portable  de sa poche. Il composa un numéro à une vitesse fulgurante puis colla l’appareil à son oreille, d’un air grave.

-         C’est bon, Ethan. J’ai ton fils à l’œil. Faut dire qu’il a son caractère et se méfie déjà de moi.

-         Il tient bien ça de sa mère, toujours à l’affut du moindre élément inhabituel.

Et qu’en est-il du Directeur ? s’enquit immédiatement la voix synthétisée.

-         Eh bien je viens à peine d’arriver et bien sûr il me considère comme ses enseignants…

-         J’imagine qu’il est judicieux que la situation reste telle qu’elle l’est en ce moment, poursuivit son interlocuteur, je t’informerai lorsqu’il sera nécessaire de t’entretenir avec le directeur.

-         Je le pense aussi, oui…confirma le japonais.

-         Il va donc falloir mener tes investigations seul et sans attirer l’attention, je te conseille d’éviter de poser des questions trop directes, d’accord ?

-         Compris. Je vais mener mon enquête et doubler de vigilance, devina le japonais.

-         Puissent tes ailes protectrices protéger mon fils, mon ami.

-         J’en prends l’entière responsabilité. 



Hiro Keisuke s’affaissa brusquement sur son bureau. Il jeta un œil de travers sur sa montre : 15h05. La journée débutait à peine mais son voyage depuis Tokyo l’avait complètement vidé de ses forces. Il posa la tête contre le bois.

Un élève distrait ayant oublié son manuel dans la salle frappa à la porte.

Mais à l’intérieur, seule la respiration régulière du japonais lui répondit.

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