Chapitre 2 : Aaron
Le principal entra dans la
salle de son pas lourd habituel. Bien sûr tous les élèves l’identifièrent à la
seconde même où sa main se posa sur la poignée, après tout ce petit homme
corpulent, gentillet et débonnaire faisait le plaisir de tous les étudiants du lycée
: « Enfin un directeur pas embêtant du tout ! » disaient certains.
Mais aujourd’hui semblait être un jour différent des autres. Les élèves
présents dans la salle remarquèrent presqu’instantanément que quelque chose le
dérangeait. Il ne fallait pas avoir les sens surdéveloppés pour s’en
apercevoir. En fait ce qui tracassait le directeur, c’était le nouvel élève
qu’il s’apprêtait à faire entrer et présenter à la classe. Ce nouvel élève qui
selon son dossier a toujours été impliqué, sans raison apparente, dans
différents «accidents » alors même que la police a toujours jugé qu’il se
trouvait sur les lieux par pure coïncidence. En cela, il se distinguait
largement des 2100 élèves de l’établissement. Ce garçon, il ne faisait aucun doute, a fait
l’objet d’une sacrée malédiction. En
tant que directeur il s’était promis dès son arrivée à veiller tout
particulièrement sur lui, car même si
son image faisait paraitre un homme aimable et gentil, il était hors de questions qu’il y ait le
moindre problème dans son établissement.
Ce nouvel élève était dans son collimateur d’autant plus que ses résultats
scolaires laissaient à désirer.
En entrant dans la salle, son regard
parcourut rapidement l’ensemble du périmètre pour noter si l’un des élèves
avait eu l’audace de s’absenter. Il esquissa un large sourire quand il fit le
compte : 25 élèves, apparemment tout le monde étais là. Il se félicita de
la fidélité des lycéens qu’il mit sur le compte de sa méthode du
« proviseur attentionné. »
-
Tout le
monde… levez-vous, lança-t-il d’une voix fière.
Comme si
ils n’avaient été qu’un tous les élève se levèrent.
-
Jeunes
gens, j’ai deux nouvelles à vous annoncer. Premièrement, préparez-vous à
recevoir un nouveau camarade qui va faire passer le nombre impair de cette
classe à un nombre pair.
A ce
moment, comme une mélopée, les voix des élèves se mirent à danser dans la salle,
les filles se questionnaient sur le nouvel élève s’il était mignon ou bien tout
le contraire de ce qu’elles espéraient, tandis que les garçons rageaient sur le
fait que le nouveau constituait un rival de plus.
-
J’aimerais
avoir le calme s’il vous plait ! s’écria soudain le directeur de sa voix
grasse et fluette. Bien. Notre nouveau camarade mérite notre respect, d’autant
plus qu’il ne faut pas oublier qu’à l’heure qu’il est, il doit être effrayé à
l’idée de devoir affronter les nombreux regards de cette classe…
-
Qui est
effrayé ? J’ose espérer que vous ne parlez pas de moi, Mr le Directeur.
-
Ah j’ai
oublié votre nom, jeune homme, fit le proviseur, amusé.
-
J’ai du
mal à vous croire, vous savez, rétorqua l’adolescent. Quelque chose me dit que
vous mentez… A moins que vous ne tentez tout simplement de vous payer ma tête,
auquel cas je suis désolé d’avoir ruiné
votre instant comique, d’autant plus que j’imagine que cela a du vous demander
un effort monumental de réflexion.
C’est alors que la
classe s’engagea dans un éclat de rire collectif, si bien que tout le monde
était forcé de se demander qui était ce jeune homme qui osait se moquer
ouvertement du directeur sans en redouter les conséquences.
Tout le monde riait
aux éclats alors qu’évidemment le
Principal perdait tous ses moyens, rouge de honte. Le jeune homme se félicita,
satisfait de l’effet provoqué, bien qu’il discerna à son grand étonnement une exception à la règle. Une jeune fille
assise au premier rang le dévisageait, visiblement irritée. Elle n’était ni
actrice ni spectatrice de son jeu et ne se retint pas pour laisser échapper un
long bâillement comme pour lui faire signe de son désintéressement. Une telle
animosité l’étonna puisque tout ce qu’il voulait, c’était de détendre
l’atmosphère, ce qui était plutôt réussit à en juger du bruit environnant. Le
Directeur malgré le pic gigantesque décoché par le lycéen et la frustration
d’avoir été ridiculisé, fit un énorme effort pour se ressaisir.
-
Bon ceci
étant…, le petit homme s’arrêta un bref instant
le temps de faire comprendre aux derniers retardataires qu’il souhaitait
désormais le silence, puis reprit. Maintenant jeune homme, présentez-vous à la classe.
-
Si vous
me le demandez si gentiment…
Mais
sans lui laisser le temps de répondre, à la grande surprise générale, un
asiatique fit irruption dans la salle, dégoulinant de sueur à tel point qu’on
eut cru qu’il finissait tout juste une course olympique. Il s’affaissa sur ses
genoux, prit une pause le temps de reprendre son souffle mais ne fit pas
attention aux regards ébahis des lycéens face au spectacle qui leur offrait.
Il se
tourna alors haletant en direction du directeur tout juste remis de cette
entrée fracassante.
-
Mr le
Directeur, je vous prie de m’excuser, mais sur les papiers il n’était pas
inscrit que votre établissement ait la réputation d’être dissimulé dans la
forêt voisine de l’Amazonie…plaisanta-t-il d’un fort accent japonais.
Nouvelle vague
d’excitation et d’éclats de rire, mais qui toucha cette fois, l’ensemble de la
classe ainsi que la jeune fille du premier rang, ce qui ne manqua pas de
renfrogner le nouveau venu, défaitiste.
-
Oui je
vous l’accorde, répondit le directeur notant ce nouveau personnage dans sa
liste noire personnelle, notre lycée est
loin d’être facile d’accès. Sa situation géographique, en pleine forêt comme
vous l’avez bien souligné, rend les communications moins fiables, si bien que
la ville la plus proche se situe à au moins deux heures d’ici. C’est une
particularité que certains apprécient tout particulièrement et c’est pourquoi
nous avons à disposition des élèves des dortoirs pour tous.
Le jeune lycéen
n’avait toujours pas pardonné son père de l’avoir envoyé dans ce trou perdu.
« Il me semble qu’on a déjà eu ce genre de conversation, c’est pour ta
sécurité Aaron. », lui avait-il dit au bout du fil, il y a un mois déjà. Quelle
sécurité ? Cette même rengaine habituelle qui était de plus en plus
horrible à supporter. Mieux valait chasser son visage de son esprit pour le
moment ne serait-ce que pour la tranquillité d’esprit.
-
Bien,
maintenant que vous êtes parmi nous, poursuivit le directeur, commençons sans
tarder votre intronisation.
-
Très
bien. Donc je m’appelle Hiro Keisuke, informa le japonais la langue pendante. Et
comme vous l’avez forcément remarqué, je suis japonais. Aussi bizarre que cela
puisse vous paraitre, je serais votre nouveau professeur de mathématiques, et
ce dès aujourd’hui.
-
Heu
dites, j’ai horreur d’intervenir comme ça, mais je fais quoi, moi ? s’enquit Aaron.
-
On peut
savoir ce que tu fiches derrière mon dos, jeune homme ? demanda-t-il
toujours souriant.
-
Eh bien
le directeur, qui d’ailleurs vient de s’en aller, a demandé à ce que je me
présente,…..mais j’ai été interrompu, répondit Aaron en lançant un regard
méfiant.
-
Ah mince
c’est vrai que le directeur nous a laissé, souligna le japonais sans considérer
le pic de l’adolescent. Je t’en prie, poursuit donc ta présentation.
-
Bien
désolé tout le monde, je m’appelle Aaron. Si je suis ici c’est surtout du fait
de mon père et de son travail qui m’oblige souvent à changer d’établissements,
parfois 3 fois par mois ou bien 2 fois tous les deux ans, ça varie en fait. Si
bien que je ne dispose jamais assez de temps qu’il faut pour me lier d’amitié
avec les gens, au risque de les perdre…
Ces mots touchèrent
droit au cœur le japonais qui était la seule personne dans la salle à comprendre ce que ressentait
vraiment le jeune garçon alors qu’il ne s’attendait pas du tout à cette vague
de mélancolie. Il tenta tant bien que mal d’intérioriser ses sentiments. Et
dire qu’il se trouvait là impuissant, avec un adolescent courageux et en manque d’affection. Il se disait que la vie
était injuste parfois.
-
…mais
j’espère que ça ne nous empêchera pas de mieux nous connaitre, conclut Aaron,
souriant.
-
Mais
qu’est-ce que c’est que cette tronche en biais, je te croyais plus costaud que
ça ! s’écria une voix puissante au fond de la salle.
Ils dataient de
l’époque de l’école primaire, le temps où Aaron était constamment brutalisé par un de ces petits caïds des cours
de récré.
C’est à cette époque qu’un jeune garçon était
intervenu, ce dernier venait d’être transféré le jour même et n’avait pas
hésité une fraction de secondes à lui prêter main-forte alors même que rien ne
le poussait à le faire et ne demandant absolument rien en échange. Il s’était
débarrassé des 3 bandits d’un seul mouvement de bras sous les yeux ébahis
d’Aaron, agenouillé à terre.
-
Rien de
cassé ? Je me présente peut être ? Moi c’est Flynn Alegre, mais je t’en prie
appelle-moi Flynn.
-
Heu,
Aaron, Aaron Law…mais pourquoi tu… ?
-
Aaron’pétoch,
moi ça me va, poursuivit le baraqué dans un éclat de rire.
-
Heu non,
non, moi c’est Aaron…
-
Oui
c’est bien ce que j’ai dit, rétorqua Flynn
incrédule, j’en ai pas l’air comme ça, mais je me sers aussi de ma tête. Ces
brutes ne viendront plus jamais te chercher des ennuis, crois-moi, quant à moi
à peine arrivé, un ami de trouvé ! s’écria-t-il en lui tendant sa main
robuste.
Aaron resta
interdit. Son protecteur dégageait une telle force, une telle générosité qu’il
se demandait si tout cela n’était pas tout simplement un rêve.
Comme pour en avoir
le cœur net, Aaron s’agrippa de ses deux mains à cette corde qu’on lui tendait,
tout étourdi par la succession fulgurante des évènements qui se déroulaient.
-
Ami ?
chuchota le colosse.
-
Ami, répondit
Aaron , le cœur léger.
Ce fut le début d’une
indéfectible amitié. Mais comme à son habitude, sa relation amicale était
menacée par le travail de son père, si bien qu’Aaron fini par s’en aller,
laissant derrière lui la seule personne qu’il considérait comme son frère.
-
Flynn !
C’est bien toi ? s’écria-t-il tout excité,
ça fait un bail, je me disais bien que cette tête d’abruti me disait
quelque chose.
-
On se
retrouve tout juste après deux ans de séparation et tu m’envoie déjà des mots
doux, décidément c’est qu’il est resté fidèle à lui-même, notre Aaron’pétoch,
soupira l’intéressé.
-
C’est
dingue comme le hasard fait bien les choses, hein ? poursuivit Aaron. Je
n’aurai jamais cru qu’on se retrouverait après tant d’années, dans le même
lycée et encore moins dans la même classe !
-
Tu l’as
dit, j’espère que tu resteras plus longtemps cette fois.
Flynn
baissa les yeux. Il redoutait la réponse et n’osait pas regarder son jeune ami
de face. Il ne supporterait pas une nouvelle fois de perdre son ami, comme ça,
du jour au lendemain.
-
Normalement,
la situation a changé par rapport à il y a 10 ans, répondit Aaron détournant le
regard, maintenant je …
-
Désolé
d’interrompre vos touchantes retrouvailles mais j’aimerais bien commencer mon cours
messieurs, intervint M. Keisuke. Alors si M.Law et M. Alegre se donnaient bien la peine de restituer leurs
places, merci.
Décidément,
Aaron méprisait de plus en plus ce type.
Premièrement, il enseignait les mathématiques ce qu’il détestait par-dessus tout, deuxièmement, il avait réussi
à arracher le sourire à la seule fille qui n’a pas apprécié sa plaisanterie et enfin, alors qu’il venait à peine de
retrouver son meilleur ami, il se permettait de les interrompre. «
Quelque chose me dit qu’on va bien s’entendre mon vieux » souffla-t-il.
-
Si M.
Keisuke veut bien m’indiquer ma place, c’est avec grand plaisir que j’accèderais à sa
requête, rétorqua insolemment Aaron, la langue à demi dehors.
-
Ah oui,
c’est vrai. Eh bien assieds- toi à côté
de cette jeune fille juste là, montra le professeur.
En
suivant la direction pointée par le doigt mince du japonais, Aaron grimaça.
Sa
nouvelle voisine n’était autre que la jeune fille qui le dévisageait avec
violence un peu plus tôt. C’était officiel, il détestait ce type.
Il se
consola néanmoins d’avoir retrouvé Flynn
en se disant que finalement ça aurait pu être pire.
Aaron
traversa la salle, puis prit place
rapidement sans jeter un regard à sa voisine. Au fur et à mesure que les
secondes passèrent, sa place prenait la forme menaçante d’une chaise
électrique. Il allait tenter de nouer le contact et redoutait sa réaction. On
aurait dit qu’il se préparait à dompter
un lion.
-
Salut,
moi c’est Aaron… comment tu t’appelles ?
-
…
Elle
l’ignorait complètement. Non, mais quel culot !
-
Euh…
comme je suis nouveau je n’ai pas encore mes bouquins tu ne voudrais pas
partager le tien s’il te plaît ? poursuit Aaron non découragé.
-
…
Elle ne
pipa toujours aucun mot. Puis, elle déplaça malgré tout son livre au centre de
la table accompagné d’un long soupir.
-
Merci.
Le reste du cours se
termina sans que l’un ou l’autre n’ouvre la bouche. Dès la sonnerie, elle prit
dans la volée toutes ses affaires puis se dirigea automatiquement à la sortie
en se fondant dans la foule immense qui surchargeait les couloirs. Décidément,
il ne comprendrait jamais le sexe opposé.
Et puis comme
l’avait déjà dit son plus grand idole, le célèbre Sherlock Holmes, « La
femme est la plus grande énigme de l’homme ».
Aaron souriait
bêtement, le simple fait de songer au plus grand détective de tous les temps,
cela le mettait de bonne humeur. Son sourire se fit plus large encore lorsque
que Flynn, visiblement impatient, lui
faisait signe de le rejoindre à l’extérieur.
Quand la salle
s’allégea de tous les élèves, Hiro Keisuke prit soin de fermer la porte pour
éviter le risque d’être dérangé et, toujours à l’intérieur, sorti son téléphone portable de sa poche. Il composa un numéro à une
vitesse fulgurante puis colla l’appareil à son oreille, d’un air grave.
-
C’est
bon, Ethan. J’ai ton fils à l’œil. Faut dire qu’il a son caractère et se méfie
déjà de moi.
-
Il tient
bien ça de sa mère, toujours à l’affut du moindre élément inhabituel.
Et qu’en est-il du Directeur ? s’enquit
immédiatement la voix synthétisée.
-
Eh bien
je viens à peine d’arriver et bien sûr il me considère comme ses enseignants…
-
J’imagine
qu’il est judicieux que la situation reste telle qu’elle l’est en ce moment,
poursuivit son interlocuteur, je t’informerai lorsqu’il sera nécessaire de
t’entretenir avec le directeur.
-
Je le
pense aussi, oui…confirma le japonais.
-
Il va
donc falloir mener tes investigations seul et sans attirer l’attention, je te
conseille d’éviter de poser des questions trop directes, d’accord ?
-
Compris.
Je vais mener mon enquête et doubler de vigilance, devina le japonais.
-
Puissent
tes ailes protectrices protéger mon fils, mon ami.
-
J’en
prends l’entière responsabilité.
Hiro Keisuke s’affaissa brusquement sur son bureau.
Il jeta un œil de travers sur sa montre : 15h05. La journée débutait à
peine mais son voyage depuis Tokyo l’avait complètement vidé de ses forces. Il
posa la tête contre le bois.
Un élève distrait ayant oublié son manuel dans
la salle frappa à la porte.
Mais à l’intérieur, seule la respiration
régulière du japonais lui répondit.
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