dimanche 8 avril 2012

Chapitre 4

                                       Chapitre IV: Meurtre en chambre close



                               Visiblement  le lendemain matin, bien qu’Aaron prenait le même bus scolaire qu’Aria, celle-ci était bien plus en avance sur lui. Il sortit la main de sa poche et jeta un œil à sa montre : 8h 15. Bon, les cours commençaient … à 8h15 exactement. La grille principale se fermait déjà derrière lui et la cour s’était pratiquement débarrassée de la majorité des étudiants. Parfait, il pouvait parcourir une nouvelle fois son vieux calepin sans pour autant attirer des regards malveillants. Il tourna les premières pages écornées et jaunies par le temps, totalement absorbé, puis finit par s’arrêter à la moitié de son ouvrage : «  Enquêter sur Hiro Keisuke. » lut-il à voix haute.

Il s’arrêta un instant, sourcils froncés, les yeux rivés sur ces mots qui semblaient danser dans son esprit. Il n’arrivait toujours pas à saisir les paroles du japonais, une chose étrange que tout le monde semblait avoir ignoré. Il n’avait pas voulu embarrasser son ami avec ces détails alors qu’ils venaient à peine de renouer le contact, il avait donc décidé de faire en sorte de ne rien laisser paraitre et d’intérioriser ses pensées. Mais la question ne cessait de lui turlupiner dans la tête à grand coup de marteau : comment le nouveau professeur de mathématiques a-t-il pris connaissance de son nom et celui de Flynn alors que, comme lui, il débarquait à peine et était complètement nouveau dans la région ?

Aaron aurait juré qu’il n’avait pas prononcé son nom de toute la journée hier.

«  Si M.Law et M. Alegre  se donnaient bien la peine de restituer leurs places, merci. » avait-dit le japonais. Comme si, en fait, il les connaissait depuis longtemps.

Aaron se força à trouver une explication mais son cerveau, toujours en état de torpeur, refusa de fonctionner. L’adolescent était tellement plongé dans ses pensées qu’il failli ne pas remarquer qu’il se trouvait devant sa salle de classe, et il devait bien avoir une ou deux minutes de retard maintenant.

Il frappa à la porte d’une série de trois coups très peu marqués quand une voix perçante provenant de l’intérieur l’invita à entrer. Aaron s’exécuta puis presque immédiatement, alors qu’il eut à peine le temps d’apercevoir Flynn, assit au dernier rang, soulevant  mécaniquement la jupe de sa voisine de devant avec de grands yeux admiratifs, le professeur vint immédiatement à la charge :

-         Eh bien jeune homme, vous êtes en retard, lui fit remarquer la jeune femme.

-         Oui, excusez-moi mademoiselle, c’est que les transports, surtout en hiver, peinent à respecter les horaires, soupira Aaron suivi d’un sourire à peine dissimulé au coin des lèvres.

-         Bon ça va pour cette fois, mais évitez à l’avenir  d’afficher ce sourire de Joconde  ou c’est vous qu’on finira par accrocher dans un musée pour l’éternité ! menaça-t-elle d’un air sévère.

-         Tu peux toujours rêver, pensa immédiatement  Aaron vexé.

Lorsqu’il rejoignit sa place, Aaron discerna quelque chose d’étrange chez Aria. C’était la première fois qu’elle daignait tourner la tête pour le regarder mais elle avait quelque chose d’inquiétant. Elle le fixait droit dans les yeux maintenant, mais son regard trahissait un visage apeuré, horrifié, comme si une scène effroyable se déroulait directement sous ses yeux. Elle grelotait et ses membres tremblaient de façon incontrôlable si bien qu’Aaron, déstabilisé, crut qu’il cauchemardait. Puis soudain, l’accalmie. Plus rien. Aria ne tremblait plus mais elle ne desserra pas les dents pour autant. Elle avait toujours cette expression horrifiée qui lui collait au visage comme un masque.

Aaron ne comprenait toujours pas ce qui se passait, et c’est bien ça qui l’angoissait. Il ne saisissait pas la nature de la crise silencieuse dont était victime Aria. C’est alors que la jeune fille lui saisit le bras avec une telle force et une telle rapidité, qu’il sursauta en manquant de tomber de sa chaise et d’emporter la table avec lui. Des sueurs froides baignaient le front d’Aria, elle était méconnaissable par rapport à la première fois qu’il l’avait vue, si différente des autres et si sûre d’elle.

-         Aaron…

Aaron fi de grands yeux à l’écoute de son nom…il sortait de la bouche d’Aria ! Elle l’avait appelé par son prénom !

-         Aaron, c’est terrible, quelque chose va arriver…je…quelque chose d’horrible va se produire…je le sens…Aaron…aide-moi…

-         Attends, je ne te comprends pas. Aria, tu n’es pas dans ton état normal, lui rétorqua  Aaron, anxieux.

-         Non, vous ne comprenez pas… tous là, je vous dis qu’il va se passer quelque chose de terrible…

-         Je t’emmène à l’infirmerie, la coupa Aaron plus déboussolé que jamais.

Lorsqu’il en demanda la permission au professeur, celui-ci notant le visage écarlate d’Aria et les sourcils profondément froncés d’Aaron au point qu’ils formaient un pont en ne faisant qu’un  au sommet de ses paupières, elle leur montra d’un geste de la main la direction de la sortie sans même ciller des yeux.

Une fois sortis de la salle de classe, elle l’ignora complètement et ne lui adressa même pas la parole. Ils marchaient le long du couloir tandis qu’Aaron espérait vivement une explication de sa part. Juste devant l’entrée de la petite porte en bois usé de l’infirmerie, elle chercha à croiser son regard et quand elle y parvint, le cœur d’Aaron fit un bond immense dans sa poitrine…elle pleurait de toutes les larmes de son corps. Ses yeux bleus se reflétaient sur les perles salées qui s’écoulaient sans cesse le long de ses joues.

-         Ça  recommence…Aaron, le sang va couler, murmura-t-elle d’une voix presque transparente.

Elle lui laissa ces mots chargés de mystères et d’angoisses  avant de disparaitre en arrière-plan, derrière la croix rouge vif qui surplombait la porte de l’infirmerie.

     -   Du sang…répéta Aaron, le cœur encore battant.

-

              La matinée défila à une vitesse ahurissante tant Aaron était absorbé par le comportement irréaliste d’Aria. Si rapidement, qu’il fut surpris d’entendre la cloche du lycée qui sonnait midi.

Au réfectoire, lorsqu’Aaron  lui raconta tout ce qu’il s’était passé, Flynn écarquilla les yeux.

-         Ouah, mon vieux, je savais que cette fille était barje…Mais jamais je n’aurai pensé qu’elle serait atteinte à ce point-là ! s’écria-il.

-         Arrête Flynn, Aria est de ce qu’il y a de plus normal, d’accord ? C’est juste qu’en ce moment elle doit faire face à des problèmes que ni elle ni moi ne comprenons.

-         Hein ? Quels problèmes ? s’enquit Flynn. Tu parles comme si tu la connaissais depuis longtemps !

La remarque de Flynn semblait cogner dans l’esprit d’Aaron. Il n’avait pas tort. Il ne connaissait cette fille que depuis hier, et considérant son charmant accueil, elle aurait très bien pu  le faire marcher et lui préparer un mauvais coup… mais malgré ça, il ne pouvait pas y croire. Non, une partie de lui-même ne voulait pas y croire. Ses larmes étaient réelles elles, de même que la fissure intérieure qu’elles lui avaient ouverte.

-         Oh non, se renfrogna Flynn redoutant le sens qu’il donnait à ce silence suspect.

-         Non, attends, écoute moi Flynn, anticipa Aaron. Je suis sûr qu’Aria a vécu un drame dans le passé qui l’a profondément marqué. Ces traces, elle les ressent encore aujourd’hui. On ne peut pas la laisser comme ça, il faut qu’on découvre la vérité…

-         « On » ? le coupa  Flynn. Cette fille nous regarde de haut à chaque fois qu’elle nous croise et tu vas me faire croire qu’on va se démener pour trouver ce qui ne tourne pas rond chez elle ? Ecoutes Aaron,  je t’apprécie vraiment, tu sais aussi combien de fois je n’ai pas hésité une seconde à te suivre  dans toutes tes aventures mystérieuses et palpitantes mais là je pose un frein, mon vieux !

-         D’accord, j’ai compris Flynn, je ne peux pas t’en vouloir, marmonna Aaron déjà vaincu.

-         Désolé, s’excusa Flynn.

Ils continuèrent à bavarder le restant  de l’heure en évitant d’aborder le sujet devenu tabou  lorsque la cloche sonna les 15 heures et 10 minutes habituelles marquant le début de la reprise des cours.

-         Oh non, pas les maths, ronchonna Flynn. Erika James est la plus sévère et la plus belle enseignante du lycée…

-         C’est moi ou ces deux caractéristiques ne vont pas ensemble ? pensa (se questionna) Aaron.

Tandis qu’ils déambulèrent dans les couloirs du deuxième étage, Aaron fut surpris du nombre de salles qui longeaient  de chaque côté les murs parallèles. Après un rapide calcul approximatif, il en comptait bien une bonne centaine rien que pour cet étage. Il se sentait  vraiment écrasé par la taille gigantesque de l’établissement et s’imaginait engloutis comme un vulgaire crustacé dans l’estomac d’un mammifère géant.

Soudain, Aaron fut tiré de ses pensées lorsqu’ils croisèrent le professeur Keisuke, le dos posé contre le mur, haletant comme une hyène en plein désert, le téléphone à l’oreille, le tout accompagné d’une mine extrêmement grave.

Le japonais tourna légèrement la tête, attiré par les bruits de pas des deux adolescents, et, presque immédiatement, prit congé de son interlocuteur.

Alors qu’Aaron brulait d’envie de le questionner et de répondre à son éternel curiosité, des mouvements d’agitation leur parvenaient par-dessus leur  l’épaule.

Une jeune adolescente effarée courait dans leur direction depuis l’angle du couloir en agitant frénétiquement les mains. Elle criait fort sans perdre sa respiration  et tomba brutalement à genou.

-         Au secours… vite…de l’aide… une ambulance ! Mon …mon petit ami est inconscient…il perd du sang !! explosa-t-elle, en larmes.

Aux mots qu’elle prononçait se greffait une vision effroyable qui provoqua une vague de sueurs froides. Tandis que le professeur Keisuke et Flynn tressaillirent, Aaron couraient déjà dans la direction indiquée par l’index tremblotant de la jeune fille, pleurant à chaude larmes.

-         Salle 238 ! lui cria l’adolescente, des décibels à s’en exploser les poumons et les tympans.

-         Ok ! Flynn, appelle immédiatement les secours ! lui ordonna Aaron sans se retourner.

Arrivé devant la salle, Aaron prit fermement la poignée de la porte et tenta de l’ouvrir à la volée. Verrouillée. Tant pis,  c’est la manière forte alors.

Il s’éloigna assez loin de la porte de chêne pour emmagasiner suffisamment d’élan nécessaire au renforcement de son impact.

Il se rua alors à une vitesse presque supérieure à la moyenne et heurta son épaule de tout son poids contre le corps de la porte. Elle se décrocha de ses gonds qu’à moitié et il fallut plusieurs coups frénétiques pour enfin la faire céder.

Le visage d’Aaron se teinta à la fois d’effroi et d’excitation à la vue du spectacle qui s’immobilisait devant ses yeux.

Un jeune homme baignait  allongé à même le sol dans une immense mare de sang qui semblait le dissoudre au fur et à mesure qu’Aaron le fixait. Le plus effrayant, c’est que son visage était orienté en direction d’Aaron de telle sorte que l’adolescent failli se résigner à franchir le pas de la porte. Les yeux étaient dénués de tout éclat et se creusaient dans l’abime de ses orbites. On l’aurait aisément pris pour un personnage de cire. Il devait être à première vue aussi âgé que lui, bien que tout ce sang présent sur son corps le rendait méconnaissable.

Aaron traversa habilement la pièce ensanglanté en veillant à ne pas polluer davantage les lieux de sa présence, puis se pencha délicatement sur le corps. Il passa sa main à la base du cou de façon à s’assurer de l’état du jeune homme.

« Il est mort. » souffla-t-il, cherchant désespérément un battement de cœur qui lui aurait échappé.

Il jeta alors un bref coup d’œil aux alentours, la poitrine battant la chamade : il localisa un téléphone portable non loin du corps, un long couteau ensanglanté qui devait surement être à l’origine du drame et…tiens ? Qu’est-ce que c’est, là, sous sa main ? Une clé ? Non…

Aaron hésita un moment, la tension lui montant à la tête : ce serait la clé de la pièce ?

Il resta immobile un long moment, plantant son regard sur le morceau de fer farouchement protégé par les doigts recroquevillés de la victime. Puis sur la porte qu’il avait rabattue. Puis une dernière fois sur la clef. C’était comme si tout devenait différent maintenant que l’objet le narguait. Aaron se surpris en train de trembler comme une feuille. Ses yeux pétillèrent d’un intérêt extrême. Jamais il n’avait connu une telle sensation, ce n’était pas comme dans ses romans, non, cette fois, c’était bien réel.

-         Une chambre close, confirma-t-il  un sourire de demi-lune illuminant son visage.

Des bruits de pas se rapprochaient rapidement dans sa direction. Il s’attendait à voir débarquer Flynn ou le professeur Keysuke. Mais à la place, s’était substitué devant ses yeux le visage d’Aria.

-         Aria ? Qu’est-ce que…

-         Non. NON….NOOON !!! explosa-t-elle les mains plantées de chaque côté du visage, secouant la tête.

-         Aria, calme-toi… s’écria Aaron, décontenancé.

Il tenta de la prendre par la main, craignant une nouvelle crise de sa part.

-         NE ME TOUCHE PAS !! hurla-elle, le visage ruisselant de larmes.

Aaron souffrait plus qu’elle de la voir dans cet état, il fallait qu’il agisse, qu’il fasse quelque chose, qu’il puisse la soigner. Si jusque maintenant il avait toujours considéré que la recherche de la vérité, du coupable et de la justice était une passion,  désormais c’était devenu un devoir, un devoir qu’il devait non seulement à la victime mais aussi à Aria.

-         Je vais résoudre cette affaire, Aria, lui annonça-t-elle d’un ton qui se voulait rassurant. Je te le promets. Je vais te soigner de ces visions d’horreur qui te bandent les yeux depuis toujours. Personne n’a le droit de disposer impunément de la vie des autres…et désormais la vie te sourira, c’est une promesse que je te fais et que je me fais…



Ces mots faisaient l’effet d’un puissant calmant pour ceux qui daignait les écouter. Aria les écoutait…avec le cœur comme clef de décryptage.

                                                      *

                         Le téléphone vibra dans la poche d’Aaron mais le jeune détective  ne détacha pas pour autant le regard du corps qui reposait éternellement dans le fluide rouge qui l’animait de son vivant.

-         Oui ? répondit le lycéen tendant hâtivement une oreille tandis que l’autre était absorbée par les paroles que s’échangeaient le professeur Keisuke et le Directeur, malheureusement assez en retrait pour que rien ne puisse filtrer.

-         Aaron,  les secours ainsi que la police ne seront pas là avant au moins deux bonnes heures, Paris est  à plusieurs kilomètres d’ici…, informa Flynn.

Aaron ferma les yeux, s’agenouillant  dans la seule pièce où  toute personne sensée ne pourrait supporter la présence de la mort, fatale et irrémédiable, qui vous parasite l’esprit comme une épidémie.

Le jeune détective semblait perdu dans un torrent de réflexions qui précipitait l’activité de ses neurones. Devant lui, le corps de la victime laissait la place  à un énorme puzzle ou les pièces qui le composaient étaient temporairement identiques et donc impossible à associer. Aaron manquait cruellement d’éléments mais il se doutait bien qu’un réseau de preuves s’était forcément refermé sur le cerveau de cette tragédie, à lui de transposer le passé au présent.

-         Aaron ? murmura Flynn inquiet du silence de son interlocuteur.

-         Ok, Flynn, bien reçu. Concernant Aria…

-         Rassure-toi, elle est avec moi. Dis donc toi, je ne savais pas que tu vivais dans un lieu pareil et en plus...

Il s’arrêta un moment comme pour peser l’importance de ses mots.

-…en colocation avec elle.

- Très bien Flynn merci, trancha Aaron sans se soucier de la remarque de son ami, je vais pouvoir m’engager pleinement dans cette affaire. Restez  où vous êtes tous les deux, il y a de fortes de chances que l’auteur du meurtre  se balade toujours entre les murs du lycée…

Mais avant que Flynn ait pu répondre, Aaron raccrocha automatiquement. Ses yeux étaient toujours rivés sur la clé de fer qui semblait avoir été épargné par les nombreux éclats de sang.

Le jeune détective retira un mouchoir de soie blanc de sa poche, afin d’éviter d’y apposer ses empreintes, et s’empressa de saisir l’objet, sans perdre en  degré de délicatesse pour autant. C’est alors que quelque chose d’étonnant se produisit. Au contact du morceau de fer, un léger fourmillement parcouru le bout de ses doigts et le fit sursauter. Un courant électrique ?

-         Law ! hurla une voix tonitruante par-dessus son épaule.

C’était le Directeur, assisté par le professeur Keysuke. Tous les deux palissaient à vue d’œil. Aaron surpris même le claquement (entrechoquement) synchronisé de leur mâchoires, comme un concert, tant leur angoisses étaient grandes. 

-         Sortez immédiatement de cette pièce macabre, c’est un ordre, fit le Directeur cherchant à retrouver son autorité en cette situation exceptionnel. Les actes suicidaires de ce pauvre jeune homme ne doivent en rien vous perturber. Rejoignez, comme vos camarades, votre  domicile et votre famille, les cours sont supen…

-         Vous vous trompez, Mr le Directeur.

Aaron fit volte-face. La résistance du jeune détective passa comme un courant si bien que les plus réceptifs pouvaient percevoir des éclairs furtifs qui s’échangeaient entre les deux hommes.

-         Monsieur, tout porte à croire qu’il s’agit là de l’œuvre d’un assassin. Evidemment, si on n’y consacre pas suffisamment d’attention, les lieux font rapidement croire à des inepties. Ce que je veux dire c’est que, la clef se trouvant à l’intérieur de la pièce, nous avons là un habile stratagème de meurtre en chambre close.

-         Y-a-t-il un double des clefs de la salle, Mr le Directeur ? intervint Keisuke sans laisser le temps au Directeur de rouspéter.

-         Non…bredouilla le petit homme dont le poids des évènements l’assaillaient cruellement, elle est la seule et unique fournie par l’établissement.

-         Il y a cependant plusieurs renseignements que je peux vous donner, devança Aaron les yeux étincelants de volonté et de détermination.

-         Nous t’écoutons, fit Keisuke en porte-parole.

Le jeune détective croisa les bras et commença à faire les cents pas sans pour autant s’approcher de la zone du drame.

-         Le meurtre a eu lieu entre 10h15 et 11h45. Le crime a vraisemblablement été prémédité et signé par une personne féminine, effroyablement intelligente, déterminée et sur d’elle, faisant partie des connaissances de la victime. Elle est droitière. C’est tout ce que je peux vous dire pour le moment mais soyez assuré qu’au moment même où  je trouverai un nouvel élément susceptible de faire avancer l’enquête, je vous le ferait parvenir sans tarder.

-         Mais comment diable peux-tu sortir des informations pareilles ? s’écria le japonais sidéré, jetant un ultime regard dans la pièce pour espérer retrouver le fil du raisonnement de l’étudiant, en vain.

Aaron poussa un long  soupir. Il perdait un temps précieux dans des explications futiles mais il n’avait pas vraiment le choix et n’étais pas en place de discuter et de faire résistance, surtout que les deux hommes ne voyaient en lui qu’un simple étudiant.

-         Pour commencer Law, fit le Directeur ayant recouvré son assurance, en considérant qu’il s’agisse réellement d’un meurtre,  sur quoi vous basez-vous pour évaluer le moment durant lequel il a été perpétré ?

Par chance, le petit homme semblait rechigner le fait qu’il parlait à un lycéen et non à un policier.

-         Ce n’est pas bien compliqué, Mr le Directeur. Si l’on y fait bien attention, on remarque que les muscles du corps commencent à devenir rigides. Or, cette rigidité cadavérique s’observe le plus souvent 2 à 3 heures après la mort, et se propage du haut du corps à la partie inférieure. Les membres supérieurs, donc les bras ainsi que la main, sont déjà atteints. Autre chose, si l’on s’aventure plus loin dans les observations, on constate la présence d’une certaine coloration rouge violacée au niveau de la peau. Or, cette coloration que l’on nomme « lividités » survient, là aussi, dans les 2-3 heures qui suivent le décès. Enfin tout ceci n’est vrai qu’à condition que la température environnante n’ait pas été modifiée comme par exemple en baissant ou en augmentant l’intensité du chauffage. Mais j’ai pris soin de vérifié, et il n’en est rien. Etant donné que  j’ai fait irruption sur les lieux aux environs de 13h15, on peut donc facilement en déduire que le drame a eu lieu entre 10h15 et 11h15, c’est-à-dire 2 à 3 heures auparavant.

-          Bon, comment peux-tu en déduire que le meurtrier est une femme ? poursuivit Keisuke.

-         Là encore tout est question de logique, rétorqua le jeune détective. Vous pouvez observer sans difficulté que la charge meurtrière  a été portée en plein cœur. Maintenant imaginez-vous la façon de procéder de la meurtrière, je veux dire, la façon dont elle portait son arme. Si le coup a été porté à la poitrine de la victime, il n’y a qu’une seule et unique façon de tenir le couteau pour atteindre ce point…

Aaron marqua une pause afin de laisser aux deux hommes le temps de digérer ses paroles. Mais comme tous deux le regardaient naïvement avec insistance, le jeune détective comprit qu’il allait devoir se passer de  leur complicité pour achever son raisonnement.

-         Il y a deux manières de tenir une arme blanche, poursuivit  le lycéen levant les yeux. Soit à la manière dont vous tenez votre soda, soit de la même façon dont vous tenez généralement votre lampe de poche, c’est-à-dire, l’objet au-dessus de vous, le pouce partant du bas du manche et les quatre autres doigts au-dessus du manche dans le cas du couteau.

Or, vous en conviendrez, pour espérer atteindre le cœur, la seconde façon de procéder est bien plus adéquate pour atteindre la partie supérieure du corps tandis que la première ne touche pratiquement que la région de l’abdomen. Cette technique est bien plus privilégiée par les femmes du fait de la puissance que cela confère au coup, grâce au point vital qu’il permet de toucher donc en l’occurrence ici le cœur, et enfin, cela permet de compenser la différence de force entre elles et les hommes puisque le coup ne dure que quelques secondes et permet d’éviter d’éventuelles altercations.

Je ne doute pas que ça puisse vous paraitre un peu théorique et léger, c’est pourquoi j’ai un autre élément à vous soumettre qui prouve sans aucun doute que le crime a été perpétré par une femme…

Aaron se rapprocha de la mare de sang qui passait lentement d’un rouge vif à un rouge terne parsemée de taches violacées liées à la coagulation.

Il en fit le tour comme on ferait un tour de manège, puis s’arrêta. Il planta son regard dans celui du Directeur, puis dans celui du professeur de mathématiques.

-         Je me suis longuement interrogé sur la nature de cette trace de sang effilée, sans comprendre, fit l’étudiant en montrant ladite marque.

En effet, aux bordures de la tache de sang, on pouvait discerner une espèce d’espace cubique mais dont l’un de ses cotés s’effilait vers l’extérieur, révélant un mouvement furtif en direction de la porte.

-         Selon vous, qu’est ce qui peut bien correspondre à une telle trace ? interrogea Aaron alors qu’il possédait déjà la réponse.

Les deux hommes se regardèrent  un moment,  en espérant  voir germer dans le regard de l’autre une suggestion ou une hypothèse.

-         Non excusez-moi, j’aurai du poser la question autrement : qu’est ce qui, selon vous, peut être à l’origine d’une telle trace chez une femme ?

Nouvelles interrogations silencieuses entre les deux hommes, sans succès.

-         Le talon, messieurs, le talon, soupira  l’adolescent horriblement ennuyé.

Depuis le début, Aaron suspectait Keisuke mais il était clair qu’avec son raisonnement, bien que le comportement du professeur fût plus qu’étrange, il fallait admettre que seule une femme avait pu commettre ce meurtre.

-         Qu’est-ce qui vous fait dire que la victime connaissait son agresseur ? Ou même inversement ?

L’étudiant se releva et croisa les bras derrière son dos emprunt à profonde réflexion.

-         Le couteau ne comporte absolument aucune trace, ou même, ne serait-ce qu’une minuscule pointe de sang. C’est tout de même étrange vous ne trouvez pas ? Si l’assassin avait réellement poignardé la victime, il se trouvait forcément qu’à quelques centimètres d’elle, suffisamment près de la zone de la projection de sang du à l’impact. Tout de même, c’est le cœur qui a été percé. Et puis, le couteau étant l’arme du crime, il devait être en contact direct avec le corps. Alors pourquoi n’y a-t-il aucune trace de sang sur le manche ? Tout simplement parce que l’assassin portait des gants, suffisamment épais pour recouvrir l’ensemble de la prise. Vous voyez, inutile d’attendre l’expertise de la police des empreintes digitales pour savoir si l’assassin portait des gants ou non.

Enfin, vous pouvez constater que le corps est à une dizaine de mètres de la porte d’entrée, ce qui n’est pas sans conséquence. Comment le coupable a-t-il pu poignarder la victime à cette distance ? Il devait forcément entrer sur les lieux et parvenir jusqu’à elle. Croyez-vous réellement que c’est faisable sans qu’ils puissent se connaitre ?



-         L’assassin a très bien pu frapper à la porte, hasarda Hiro, et une fois que la victime lui ait ouverte la porte, il lui suffisait de la poignarder rapidement sur place. Il n’avait plus qu’à déplacer le corps un peu plus loin dans la pièce.

-         Impossible. Nous aurions forcément retrouvé des éclaboussures sur le pas de la porte et sur la porte elle-même d’ailleurs. Or, vous le voyez, il n’en est rien.

-         L’assassin aurait très bien pu les effacer, insista le japonais.

-         Même si ça avait été le cas, votre théorie n’est pas valable. Si l’assassin avait réellement poignardé la victime à l’entrée, il lui était nécessaire de déplacer le corps, comme vous le dites. Mais dans ce cas-là on aurait de grandes traces effilées du au frottement avec le sol. Là encore vous voyez, nous n’avons rien de cela. Le fait que l’assassin portait des gants et le fait qu’il portait un couteau, de surcroît dans un lieu public et éducatif, nous font forcément avancer la thèse d’une préméditation.

-         Une dernière question. Le coupable est droitier, dites-vous ? reprit le Directeur.

-         Je ne vous comprends pas messieurs. Tout est là, sous vos yeux, chaque élément est une page écrite qui ne demande qu’à  être lue. Que vous inspirent les taches de sang ? Pardonnez-moi l’expression mais ça crève aux yeux ! Nombreux sont les simples d’esprit qui ignorent qu’elles sont chargées de bien des histoires.

Les deux hommes concentraient leur attention sur les artifices de couleur rouge qui cheminaient le long du sol, tout autour du corps. Mais leurs yeux ne purent leur offrir les informations qu’ils cherchaient.

-         Bien, continua Aaron irrité, dans quelle direction pointent les éclaboussures, ou plutôt devrais-je dire, les courbes de sang ?

-         Eh bien vers la droite du corps, se risqua le Directeur. Ah !

-         Exactement, c’est que le coup a été porté de la main droite de l’assassin.

-         C’est tout ? s’exclama le professeur.

-         Vous vous attendiez à quoi exactement ? Je ne suis pas magicien.

-         Mais qui es-tu ? lui demanda le Directeur visiblement impressionné.

-         Aaron Law, détective…, lui répondit le jeune homme, un immense sourire aux lèvres.

-         Détective ? Tu n’es pas étudiant par hasard ? lui lança le petit homme.

Mais Aaron ne lui prêta pas la moindre attention.

C’est alors que l’adolescente qui lui avait signalé le drame se tenait debout, talons hauts,  sur la porte qu’Aaron avait décrochée de ses gonds et étalé sur le sol. Elle était livides, le regard s’éteignait  au fur et à mesure qu’elle clignait des yeux, ses cheveux noirs huilés étaient dépenaillés et lui caressaient la joue si bien que ses mèches baignaient  dans la rivière de larmes qui s’écoulait paisiblement.

-         Il est mort n’est-ce pas ? questionna-t-elle d’une voix à peine audible.

On lui répondit d’un geste de la tête sans oser s’aventurer dans son regard.

-         Mais dites-moi, n’étiez-vous pas sa petite amie ? interrogea le Directeur incrédule.

Elle ferma les yeux puis les rouvrit comme pour s’assurer qu’il s’agissait seulement  d’un mauvais rêve. Mais non, la situation était bien réelle.

Soudain, contre toute attente,  son visage s’éclaira lorsqu’elle vit le téléphone portable rose bonbon qui s’affichait sur le plancher. Sans tarder, elle traversa la pièce en tentant d’effacer la présence de mort qui y régnait de son esprit,  puis le saisit délicatement entre ses mains.

-         Mon portable ! s’écria-t-elle, choquée. Je croyais l’avoir perdu…

Aaron déglutit.

-         Ce téléphone portable vous appartient ? s’étonna le jeune détective, le cœur battant.

-         Oui, pourquoi cette mine grave…

Elle s’arrêta brusquement. Elle venait de réaliser l’importance de ses propos. Elle blemit.

-         Mademoiselle, tout porte à croire que vous avez joué un rôle dans la mort de ce jeune homme, fit le Directeur d’un ton grave.

-         …Ou qu’on ait cherché à vous faire porter le chapeau, corrigèrent d’une même voix Aaron et Keisuke.

De toute évidence, l’élève et le professeur pensaient la même chose.

Si l’adolescente était véritablement l’auteur tant recherché du crime, pourquoi avoir laissé bien en évidence son téléphone portable alors qu’il n’y a aucune trace d’elle sur les lieux. De plus, le stratagème de la chambre close n’aurait plus aucun sens si on arrivait à remonter jusqu’à elle.

-         Veuillez me suivre jusqu’à mon bureau mademoiselle, vous comprendrez qu’il m’est tout bonnement inconcevable de ne pas vous privez de vos mouvements au sein de l’établissement.  Veuillez croire qu’il ne me sied guère d’agir avec autant de répugnance avec mes élèves, mais je dois user de mes responsabilités quand cela se fait ressentir, et cette situation si singulière, n’en fait aucunement exception.


Non,  le téléphone portable,  le fait qu’elle porte des talons et qu’elle soit la petite amie de la victime … On cherchait vraisemblablement à lui faire porter le chapeau afin de se détourner de la seule et unique vérité. Aaron pressentait qu’une histoire très sombre se cachait derrière ce crime horrible. Le fruit d’une vengeance terrible. La victime a été poignardée en plein cœur comme l’aurait peut-être été son assassin. Un frisson parcourut le jeune détective : c’était bien loin de la fiction de ses romans dont il aimait s’immisçait à longueur de journée…et visiblement, ce n’était que le commencement.

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